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CHRONIQUE DRAMATIQ.UE 455

nuyeux ? Je répondrai que j'y vais comme on sort pour se distraire les yeux. Je continue là, je l'ai dit, à rêver à mes affaires, tout en regardant ce qui se passe autour de moi et sur la scène. Le métier de critique dramatique a cela d'agréable qu'on n'a pas besoin d'être rigoureusement attentif. Un cri- tique littéraire doit lire soigneusement les livres dont il rend compte, du moins je l'imagine. Il peut se trouver, à telle page, le morceau de talent qu'il risquerait d'ignorer. Au théâtre, ce n'est pas cela. On peut penser à autre chose. Sans qu'on y prenne garde, on retient toujours du spectacle auquel on assiste ce qu'il faut pour, en écrire un compte-rendu. J'ai d'ailleurs mes bonnes soirées, quelquefois, et il m'arrive aussi d'avoir de grands plaisirs au théâtre. C'est quand je vois jouer du Molière, du Marivaux, du Regnard, du Shakespeare, du Beaumarchais, ce théâtre si vrai dans son comique, si fin dans sa légèreté, si émouvant dans sa fantaisie, si hardi dans son badinage, si humain dans sa farce. Alors, je reconnais tous les traits qui me touchent, me passionnent ou me font rêver. Mille souvenirs me reviennent et me rajeunissent. L'enchantement du théâtre me prend, presque aussi grand que celui de la lecture. De même que j'ai été là les personnages les plus divers, je rêve de me prêter aussi à tous ces personnages que je vois, et il me faut me retenir pour ne pas interrompre le spectacle, interpeller les acteurs, et réclamer un rôle, moi aussi. Oh ! pas un de ces rôles grandiloquents, hyperboliques, à tirades et à métaphores, à grands gestes et à panache, qui ne sont qu'invention et diva- gation, mais un de ces rôles dans lesquels l'homme paraît tel qu'il est : comique, ridicule, pitoyable, absurde, aveugle et cré- dule, dupé et berné, fantoche prétentieux ou puéril, dont le sérieux fait rire et dont la gaieté attriste, un de ces rôles dans lesquels nous retrouvons tous une part de nous-mêmes et qui montrent que le seul vrai théâtre est le théâtre comique. On Yoit donc bien que je suis loin de ne pas aimer le théâtre et que je ne manque pas de bonnes raisons, voyant jouer tant et tant de pièces de nos auteurs d'aujourd'hui, pour préférer souvent, dans mes comptes-rendus, parler d'autre chose.

MAURICE BOISSARD

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