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454 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ble écrit d'hier, parce qu'ils ont été écrits simplement, sans mode ni recherche de st^'le, par plaisir d'observer et de raconter, avec l'unique souci d'être clair et vrai. La pièce que je viens de voir et qui m'avait plus ou moins plu est bien loin, alors, et il n'en reste plus grand'chose à mes yeux. Quel théâtre d'amour, comme on dit aujourd'hui, voulez-vous qui me donne autant de rêverie sur la passion que cette maxime de La Rochefoucauld : « On a bien de la peine à rompre quand on ne s'aime plus » ? Quelle pièce à prétentions philosophiques voulez-vous qui me donne autant de réflexions que cette maxime encore de La Rochefoucauld : « On n'est jamais si heureux ni si malheureux qu'on s'imagine » ? Toute l'illusion humaine n'est-elle pas exprimée là, cette folie de nous déses- pérer quand nous souffrons, cette autre folie de nous enthou- siasmer quand nous avons un bonheur, alors que rien ici bas ne vaut qu'on en souffre ou qu'on en jouisse à l'excès, quand on sait le regarder de près ? Que dites-vous aussi de ce char- mant tableau d'intimité, que j'extrais d'une lettre de Grimm : « Qu'on se représente Madame du Deffand aveugle, assise au fond 'de son cabinet, dans ce fauteuil qui ressemble au tonneau de Diogène, et son vieux ami Pont de Veyle, couché dans une bergère, près de la cheminée. C'est le Heu de la scène. Voici un de leurs derniers entretiens. « Pont de Veyle ? — Madame ? — Où êtes-vous ? — Au coin de votre cheminée. — Couché les pieds sur les chenets, comme on est chez des amis ? — Oui, Madame. — Il faut convenir qu'il est peu de liaisons aussi an- ciennes que la nôtre. — Cela est vrai. — li y a cinquante ans passés. Et dans ce long intervalle, aucun nuage, pas même l'apparence d'une brouillerie. — C'est ce que j'ai toujours admiré. — Mais, Pont de Veyle, cela ne viendrait-il point de ce qu'au fond nous avons toujours été fort indifférents l'un à l'autre? — Cela se pourrait bien. Madame ». Je lis cela avec ravissement, moi qui me moque de la sympathie et de l'antipa- thie d'autrui, qui verrais le monde disparaître sans en être bien chagriné, qui mets toute ma jouissance dans la solitude et le silence, et qui n'aime la société que de quelques personnes qui savent tout de moi comme je sais tout d'elles, ce qui nous évite déplus rien nous dire. On va se demander alors pourquoi je vais au théâtre si tout m'y paraît à ce point médiocre et en-

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