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452 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la femme d'un fermier général dont j'aurais contenté quelques restes d'ardeur, l'amant de cœur d'une comédienne dont la pro- tection m'eût été fort utile, le confident et l'intermédiaire de filles de théâtre, le secrétaire galant de quelque riche amateur de beautés désireux de passer auprès d'elles pour un bel esprit, faisant l'amour pour mon compte tout en travaillant à le faire faire à d'autres. Un tel métier, me dira-t-on, n'aurait pas été sans risques ? Je le sais fort bien. J'aurais reçu, sans doute, de temps en temps, quelques coups de bâton de quelque imperti- nent mécontent de mes propos, de l'adulateur de quelque pré- cieuse par moi égratignée ou de l'entreteneur sénile de quelque belle, fâché de me voir tenir auprès d'elle un rôle plus éloquent que le sien. Mais à une époque où un bon mot faisait la fortune d'un homme et le tirait des pires situations, qu'était-ce que quelques coups de bâton ? J'aurais de- mon mieux fait tourner cette aventure à mon avantage, ou l'aurais déguisée d'une façon ou d'une autre, comme ce Rivarol disant à Champcenetz : « Il m'est arrivé une aventure. J'ai reçu quelques bûches sur le dos ». A quoi l'autre qui le connaissait répondait : « Tu as toujours eu le talent dégrossir les choses qui t'arrivent». J'aurais sans doute connu, avec tout cela, les joies de la famille, qui me sont refusées aujourd'hui. J'aurais peut-être eu de mes amours quel- ques filles, jolies je le pense bien, dont la galanterie eût assuré mes vieux jours. J'imagine cette tranquillité que j'aurais eue là. Supposons, par exemple, trois filles, et que chacune m'ait donné chaque mois deux cents francs : on doit bien cela à son vieux père. Deux cents multipliés par trois, cela eût fait six cents francs. A cette époque, avec cette somme, j'eusse été très à mon aise. Au lieu de cela. . . Hélas ! . . . Au lieu de cela, au lieu de cette société pleine de fantaisie, de ces relations charmantes, de ces plaisirs délicieux, de ces amours pleines d'agrément, de cette aisance honorable, de toute cette vie piquante et variée... Mais non ! Je ne veux pas vous peindre le tableau. Il est trop noir. Il est trop laid. Il est trop bête. Passons, n'est-ce pas ? passons. Je reviens au théâtre. Je viens de décrire certaines pièces qui m'empêchent d'y trouver du plaisir. Il y en a d'autres. Il y a celles qui ont un certain intérêt, qui sont bien faites, réussies, qui sont des oeuvres littéraires et non pas uniquement une marchandise théâtrale. Je sais voir cela. Je les apprécie, sur le

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