Page:NRF 17.djvu/451

Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 445

petit livre de M. Ferrero nous donne Timpression de ce para- doxe. M. Ferrero constate que l'avènement de Septirae Sévère, la victoire de l'empereur de l'armée sur l'empereur du Sénat, ouvre une crise d'autorité où succombe le prestige de l'organe traditionnel du gouvernement, le Sénat. Ubi senatus, ihi Roma. Plus de Sénat qu'en peinture, dès lors plus de Rome, plus d'em- pire romain, mais, au lieu de cela, ce que Montesquieu appelle « une espèce de république irrégulière, telle à peu près que l'aristocratie d'Alger, où la milice qui a la puissance souveraine fait et défait un magistrat qu'on appelle le dey... Quoique les armées n'eussent pas un lieu particulier pour s'assembler, qu'elles ne se conduisissent point par de certaines formes, qu'elles ne fus- sent pas ordinairement de sang-froid, délibérant peu et agissant beaucoup, ne disposaient-elles pas en souveraines de la fortune publique ? » Ces lignes ironiques de Montesquieu, ce Caliban militaire succédant au Prospero que le monde avait cru posséder en les Antonins, cette lutte, jusqu'à Dioclétien, du principe d'autorité personnifié par les seuls empereurs (qui n'eurent jamais tant de valeur personnelle) et du principe d'anarchie bru- tale représenté par les prétoriens qui les tuent, voilà ce qui fait le fond du tableau rapide esquissé par M. Ferrero. La décadence de Rome c'est la décadence et la ruine de l'autorité sénatoriale qui, même au temps des empereurs jusqu'à Sévère, faisait l'os- sature de l'Etat. Cette autorité à bas, l'Etat glisse à la mort, et c'est presque un miracle qu'il se soit maintenu si longtemps. M. Ferrero, qui considère que l'histoire du passé doit nous ser- vir d'enseignement pour le présent, et que les situations se répè- tent, nous montre dans l'Europe actuelle, slave et germanique surtout, un l^échissement analogue de l'autorité, avec l'effondre- ment des monarchies qui jusqu'ici assuraient la solidité, l'effi- cace et la continuité du pouvoir, et son pronostic est fort sombre. Aussi sombre que celui de M. Deonna dans ses trois curieux articles de la Bibliothèque Universelle, La nuit qui vient. Les historiens trouveront peut-être que M. Ferrero exagère un peu, pour les besoins de sa thèse, l'autorité que le Sénat aurait continuée à exercer avant Septime Sévère. N'oublions pas que si aucun prince, à aucune époque, ne conçut un Etat romain sans Sénat, la personne de chaque sénateur était depuis longtemps à la discrétion des empereurs, et que le Sénat, n'ayant

�� �