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bientôt irrité par l’échange des signes, et qui naît lorsque quelqu’un rompt l’accord de société. C’est pourquoi on ne peut essayer de penser en société ; on rencontre alors des obstacles imprévus et puissants. Et il n’est point raisonnable de mener une Guerre Sociale en même temps que l’on veut suivre l’Evidence et l’Analyse. Mais le scandale n’est lui-même qu’un avertissement. Revenu en solitude, le philosophe trouvera encore des raisons d’être prudent en ses démarches. C’est la Précipitation qui nous rejette à la Prévention ; ainsi Descartes^ en ces deux mots, a puissamment décrit le cercle entier de nos erreurs.

C’est peut-être surtout par crainte de la Précipitation, et des sottises sans mesure qui la punissent aussitôt, que l’homme tient ferme d’abord et par précaution à ce qu’il a toujours pensé. Il faut redire ici qu’on n’estime communément pas beaucoup ceux qui changent aisément d’opinion et de parti. Ce sentiment est juste, en ce qu’il attache du prix au sérieux et à la profondeur des convictions au moins autant qu’à la Vérité ; et réellement la Vérité est une abstraction, et impossible à terminer. C’est le préjugé des préjugés, et bien fondé, que le travail de pensée doit être lent, et toujours soutenu contre les idées de traverse par quelque foi volontaire. Il faut que l’esprit soit posé, et non pas errant, flottant, discuteur, divagant. Telles sont les causes les plus honorables de la Prévention, sans compter la Paresse d’esprit, et l’Amour-Propre, qui sont ici de puissants alliés. Mais la Prévention engendre sa passion propre, en des esprits naturellement vifs et même curieux, dès qu’ils ont l’expérience d’une guerre trop difficile à mener, contre les autres et contre soi, avec pertes certaines, et sans profit assuré. La Frivolité est un état sérieux de l’esprit qui se craint lui-même, et a fait serment de rire de tout.

ALAIN