Page:NRF 17.djvu/439

Cette page n’a pas encore été corrigée

LES IDÉES ET LES AGES 433

Ce qui n'empêche point que l'ouvrier puisse comprendre une doctrine religieuse, l'admirer, la vouloir vraie ; de tels exemples se rencontrent. Mais il faut reconnaître qu'une telle discipline intellectuelle n'est point une religion à pro- prement parler, mais plutôt une sorte de philosophie, et encore qui ne nourrit pas longtemps la curiosité. Quand j'ai jugé qu'il me faut une religion, et que j'en puis espérer avantages spirituels et paix du cœur, je ne suis pas encore religieux pour cela. Au contraire la pratique de l'obéis- sance et de la vénération que l'on voit dans une famille paysanne dispose mieux à croire, et d'abord fait sentir la puissance du culte, des traditions, de l'opinion, de l'auto- rité. Nul ne peut dire si l'énergie électrique, bien plus aisément transportable que l'énergie du moteur à charbon, ne restaurera pas la religion en même temps que l'atelier familial et le toyer. C'est au foyer même que sont assis les dieux les plus anciens ; et ces dieux-là, si on entend bien la chose, portent encore et porteront toujours les religions, quelles qu'elles soient.

Venons au paradoxe de Marx, qui est toujours bon à reprendre. S'il est supposé qu'une rivière, comme on le dit de la Lys et de quelques autres, favorise, par la vitesse de son cours et la composition de ses eaux, le rouissage du lin, sur ses rives sera filé naturellement le fil de lin le plus fin ; donc à la quenouille, comme Pierre Hamp nous l'enseigne ; et sur ces rives aussi seront tissées les plus fines étoffes de lin, et au métier à main, puisque le métier mécanique casse le fil fin. Voilà donc les familles occupées autour du foyer, l'homme tissant et la femme filant à la quenouille, les petites mains dévidant ou renouant le fil. Vie paysanne, discipline des sentiments, respect, autorité, vertus familiales, dieux du foyer, religion conservée ou restaurée. En sorte que cette rivière, sur ses rives et par la vertu de ses eaux, fait pousser la religion aussi. Les vraies preuves de l'existence de Dieu ne sont pas dans Descartes, ni même dans saint Thomas.

28

�� �