LES IDÉES ET LES AGES 43 I
faut savoir accepter et imiter d'abord, si on ne veut accepter et imiter finalement. Il y a un âge pour l'atelier, et beau- coup de jeunes disent non avant de savoir. C'est pourquoi l'honnête homme est un gibier rare et de poil mélangé. Ainsi le comte Mosca, dans la Chartreuse, est souvent mal jugé parce qu'il accepte beaucoup ; mais il surmonte à chaque minute ; et c'est sans doute ainsi que Marc-Aurèle fut empereur, et punit les chrétiens.
Au niveau du métier, qui est le niveau commun, mais non point bas, il faut juger équitablement la vertu profession- nelle, l'esprit de corps, le Respect Humain, l'Honneur et toutes les vertus de ce genre, obéissantes et portantes, non méprisables certes, ou plutôt qui ne peuvent être méprisées que si on les reçoit d'abord par une juste idée de la faiblesse humaine.
« Vous aimez ce métier de gendarme ?, » est-il demandé dans l'Otage. « Non pas, répond le Préfet, mais il faut faire ce qu'on fait. » Il y a des obligations de métier, quoti- diennes et non ambiguës. J'en vois qui viennent des choses et de l'outil ; j'en vois d'autres qui viennent des hommes et. de l'opinion.
Faire une chose que l'on sait bien faire, cela oblige. Nettoyer une arme rouillée ; prendre un violon et jouer. Surtout si l'outil attend, car l'outil familier donne aisance et parfait contentement. Grandet répare son escalier et chante. Cet amour du travail n'est nullement fictif. D'abord l'outil invite à une sorte de danse. Un marin prend la rame ou le câble, même sans y penser. Encore mieux parle l'atelier avec ses outils rangés ; la puissance humaine n'a pas de plus forte image d'elle-même.
Mais les choses, en changement par le travail, ont de l'éloquence aussi, et surtout la terre en culture, qui promet autant qu'elle récompense. Le paysan considère, non pas le résultat seulement, mais d'immenses projets, qui ne le laissent point dormir tard. Là se fonde l'amour de la pro- priété, parce que seule elle offre 'une perspective assurée
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