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SOIREES PERDUES 417

Arthur ! s'il s'était trouvé dans cette situation. Il serait allé au Harrar, sans doute, mais c'était bien loin. Le poète con- fia ses scrupules à un ami qu'il présenta à la jeune fille afin qu'il devînt amoureux d'elle et qu'elle ne devînt pas amoureuse de lui. Quelque temps après, mes trois person- nages, Annie, le poète et l'ami soupaient tous les soirs dans les meilleurs hôtels de la ville. L'ami poursuivait Annie, Annie le poète, le poète son ombre. Aucun d'eux n'atteignit son but.

Plus tard, Annie vint à Paris et fi-équenta les milieux littéraires : La Closerie des Lilas, la Rotonde. C'est là que je l'ai connue. Ce soir-là, elle était vêtue d'une jolie robe gris-perle et riait aux oiseaux bleus de la lumière, entourée des poètes de Montparnasse qui lui faisaient des madrigauîi en style télégraphique, alors à la mode. J'ai beaucoup aimé ses yeux tristes.

Annie s'ennuyait, écrivait des poèmes cubistes, traduisait de l'anglais les romans inconnus d'Anne Radcliffe. Elle aimait Chariot, Fantômas, Lautréamont, le poète de Nantes. Elle ne m'aimait pas. Nous avons dîné ensemble au Lapin-Agile, un soir d'hiver, je m'en souviens encore et de la rue des Saules et du petit cimetière où mon cœur dansait, feu-follet perdu. Je la quittai très tard dans la nuit^ devant la porte de sa maison, au Quartier Latin et j'attendis pour m'en aller qu'une fenêtre s'éclairât au sixième étage. Celte de sa chambre, évidemment.

Je devais revoir Annie.

Quelques mois passèrent.

Un jour, je marchais avenue de l'Opéra lorsqu'une voix douce cria mon nom. Annie ! Je n'avais pas oublié les beaux yeux qui me regardaient toujours si tristement. La jeune fille m'avait écrit une lettre qui fut perdue. Méchant courrier du destin, que fais-tu des lettres d'amour qu'on ne reçoit pas ? Où s'envolent tous ces baisers ? Depuis la terre a mal tourné. Annie est partie en Egypte, enlevée par un officier américain, sans doute pour interroger le sphinx.

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