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LES INTER.NilTTENCES DU CŒUR 4O3

Casino^ de la rue où en l'attendant le premier soir, j'étais allé jusqu'au monument de Duguay-Trouin, m'empêchait, comme un vent contre lequel on ne peut lutter, d'aller plus avant, je baissais les yeux pour ne pas voir. Et après avoir repris quelque force, je revenais vers l'hôtel, vers l'hôtel où je savais qu'il était désormais impossible que, si longtemps dussé-je attendre, je retrouvasse ma grand'mère, ma grand'mère que j'avais retrouvée autrefois, le premier soir d'arrivée.

Mes pensées étaient habituellement attachées aux der- niers jours de la maladie de ma grand'mère, à ses souf- frances que je revivais en les accroissant de cet élément, plus difficile encore à supporter que la souffrance même des autres et auxquelles il est ajouté par notre cruelle pitié ; quand nous croyons seulement recréer les douleurs d'un être cher, notre pitié les exagère ; mais peut-être est-ce elle qui est dans le vrai, plus que la conscience qu'ont de ces douleurs ceux qui les souffrent, et auxquels est cachée cette tristesse de leur vie, que la pitié, elle, voit, dont elle se désespère. Toutefois ma pitié eût dans un élan nouveau dépassé les souffrances de ma grand'mère si j'avais su alors ce que j'ignorai longtemps, que la veille de sa mort dans un moment de conscience et s'assurant que je n'étais pas là, elle avait pris la main de maman et, après y avoir collé ses lèvres fiévreuses, lui avait dit : « Adieu ma fille, adieu pour toujours ». Et c'est peut-être aussi ce souvenir-là que ma mère n'a plus jamais cessé de regarder si fixement. Puis les doux souvenirs me revenaient. Elle était ma grand'mère et j'étais son petit-fils. Les expressions de son visage sem- blaient écrites dans une langue qui n'était que pour moi ; elle était tout dans ma vie, les autres n'existaient que relativement à elle, au jugement qu'elle me donnerait sur eux ; mais non, nos rapports ont été trop fugitifs pour n'avoir pas été accidentels. Elle ne me connaît plus, je ne la , reverrai jamais. Nous n'avions pas été créés uniquement l'un pour l'autre, c'était une étrangère.

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