loin à maman de longs saluts éplorés, non en signe de condoléance, mais par genre d’éducation ; nous n’eussions pas perdu ma grand’mère et n’eussions eu que des raisons d’être heureux qu’elle eût fait de même. Vivant assez retirée à Combray dans un immense jardin, elle ne trouvait jamais rien assez doux et faisait subir des adoucissements aux mots et aux noms même de la langue française. Elle trouvait trop dur d’appeler cuiller la pièce d’argenterie qui versait ses sirops et disait en conséquence cueiller, elle eût eu peur de brusquer le doux chantre de Télémaque en l’appelant Fénelon — comme je faisais moi-même en connaissance de cause ayant pour ami le plus cher l’être le plus intelligent, bon et brave, inoubliable à tous ceux qui l’ont connu, Bertrand de Fénelon — et elle ne disait jamais que Fénélon trouvant que l’accent aigu ajoutait quelque mollesse. Le gendre moins doux de cette Madame Poussin et duquel j’ai oublié le nom, étant notaire à Combray, emporta la caisse et fit perdre, à mon oncle notamment, une assez forte somme. Mais la plupart des gens de Combray étaient si bien avec les autres membres de la famille, qu’il n’en résulta aucun froid et qu’on se contenta de plaindre Mme Poussin. Elle ne recevait pas, mais chaque fois qu’on passait devant sa grille on s’arrêtait à admirer ses admirables ombrages, sans pouvoir distinguer autre chose. Elle ne nous gêna guère à Balbec où je ne la rencontrai qu’une fois. Elle disait à sa fille en train de se ronger les ongles : « Quand tu auras un bon panaris, tu m’en diras des nouvelles ».
Pendant qu’elle lisait sur la plage, je restais seul dans ma chambre. Je me rappelais les derniers temps de la vie de ma grand’mère, et tout ce qui se rapportait à eux, la porte de l’escalier qui était maintenue ouverte quand nous étions sortis pour sa dernière promenade. En contraste avec cela le reste du monde semblait à peine réel et ma souffrance l’empoisonnait tout entier. Enfin ma mère exigea que je sortisse. Mais à chaque pas quelque aspect oublié du