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te la laisserait voir. — Tu sais bien pourtant que je vivrai toujours près d’elle, cerfs, cerfs, Francis Jammes, fourchette ». Mais déjà j’avais retraversé le fleuve aux ténébreux méandres, j’étais remonté à la surface où s’ouvre le monde des vivants, aussi si je répétais encore : « Francis Jammes, cerfs, cerfs, » la suite de ces mots ne m’offrait plus le sens limpide et la logique qu’ils exprimaient si naturellement pour moi il y a un instant encore et que je ne pouvais plus me rappeler. Je ne comprenais plus même pourquoi le mot Aias que m’avait dit tout à l’heure mon père avait immédiatement signifié : « Prends garde d’avoir froid » sans aucun doute possible. J’avais oublié de fermer les volets et probablement le grand jour m’avait éveillé. Mais je ne pus supporter d’avoir sous les yeux ces flots de la mer que ma grand’mère pouvait autrefois contempler pendant des heures ; l’image nouvelle de leur beauté, indifférente, se complétait aussitôt par l’idée qu’elle ne les voyait pas ; j’aurais voulu boucher mes oreilles à leur bruit, car maintenant la plénitude lumineuse de la plage creusait un vide dans mon cœur, tout semblait me dire comme ces allées et ces pelouses d’un jardin public où je l’avais autrefois perdue, quand j’étais tout enfant : « Nous ne l’avons pas vue » et sous l’immense rotondité du ciel pâle et divin je me sentais oppressé comme sous une immense cloche bleuâtre fermant un horizon où ma grand’mère n’était pas. Pour ne plus rien voir, je me tournai du côté du mur, mais hélas ! ce qui était contre moi c’était cette cloison qui servait jadis entre nous deux de messager matinal, cette cloison qui aussi docile qu’un violon à rendre toutes les nuances d’un sentiment, disait si exactement à ma grand’mère ma crainte à la fois de la réveiller, et si elle était éveillée déjà, de n’être pas entendu d’elle et qu’elle n’osât bouger, puis aussitôt comme la réplique d’un second instrument, m’annonçant sa venue et m’invitant au calme. Je n’osais pas approcher de cette cloison, plus que d’un piano où ma grand’mère aurait joué et qui vibrerait encore de son tou-