attendre l’heure qu’il me fallait encore passer sans elle. Et maintenant que ce même besoin renaissait, je savais que je pouvais attendre des heures après des heures, qu’elle ne viendrait plus jamais auprès de moi, je ne faisais que de le découvrir parce que je venais en la sentant pour la première fois, vivante, véritable, gonflant mon cœur à le briser, en la retrouvant enfin, d’apprendre que je l’avais perdue pour toujours. Perdue pour toujours ; je ne pouvais comprendre et je m’exerçais à subir la souffrance de cette contradiction : d’une part une existence, une tendresse, survivantes en moi, telles que je les avais connues, c’est-à-dire faites pour moi, un amour où tout trouvait tellement en moi son complément, son but, sa constante direction, que le génie de grands hommes, tous les génies qui avaient pu exister depuis le commencement du monde n’eussent pas valu pour ma grand’mère un seul de mes défauts, et d’autre part aussitôt que j’avais revécu, comme présente, cette félicité, la sentir traversée par la certitude — s’élançant comme une douleur physique à répétition — d’un néant qui avait effacé mon image de cette tendresse, qui avait détruit cette existence, aboli rétrospectivement notre mutuelle prédestination, fait de ma grand’mère, au moment où je la retrouvais comme dans un miroir, une simple étrangère qu’un hasard a fait passer quelques années près de moi, comme cela aurait pu être auprès de tout autre, mais pour qui, avant et après, je n’étais rien, je ne serais rien.
Au lieu des plaisirs que j’avais eus depuis quelque temps, le seul qu’il m’eût été possible de goûter en ce moment c’eût été, retouchant le passé, de diminuer les douleurs que ma grand’mère avait autrefois ressenties. Or je ne me la rappelais pas seulement dans cette robe de chambre, vêtement approprié, au point d’en devenir presque symbolique, aux fatigues, malsaines sans doute, mais douces aussi, qu’elle prenait pour moi, peu à peu voici que je me souvenais de toutes les occasions que