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LES INTERMITTENCES DU CŒUR 391

perpétuellement en notre possession. Peut-être est-il aussi inexact de croire qu'elles s'échappent ou reviennent. En tous cas si elles restent en nous, c'est la plupart du temps dans un domaine inconnu où elles ne sont de nul service pour nous, et où même les plus usuelles sont refou- lées par des souvenirs d'ordre différent et qui excluent toute simultanéité avec elles dans la conscience. Mais si le cadre de sensations où elles sont conservées est ressaisi par nous, elles ont à leur tour ce même pouvoir d'expulser de nous tout ce qui leur est incompatible, d'installer seul en nous, le moi qui les vécut. Or comme celui que je venais subitement de redevenir n'avait pas existé depuis ce soir lointain où ma grand'mère m'avait déshabillé à mon arrivée à Balbec, ce fut tout naturellement, non pas après la journée actuelle que ce moi ignorait, mais — comme s'il y avait dans le temps des séries différentes et parallèles — sans solution de conti- nuité, tout de suite après le premier soir d'autrefois, j'adhé- rai à la minute où ma grand'mère s'était penchée vers moi. Le moi que j'étais alors et qui avait disparu si longtemps, était de nouveau si près de moi qu'il me semblait encore entendre les paroles qui a\^ient immédiatement précédé et qui n'étaient pourtant plus qu'un songe, comme un homme mal éveillé croit encore percevoir tout près de lui les bruits de son rêve qui s'enfuit. Je n'étais plus que cet être qui cherchait à se réfugier dans les bras de sa grand'mère, à effacer les traces de ses peines en lui donnant des baisers, cet être que j'aurais eu autant de difficulté à me figurer quand j'étais tel ou tel de ceux qui s'étaient succédé en moi depuis quelque temps, que maintenant il m'eût fallu d'efforts, stériles d'ailleurs, pour ressentir les désirs et les joies de l'un des êtres que, pour un temps du moins, je n'étais plus. Je me rappelais comment une heure avant le moment où ma grand'mère s'était penchée ainsi, dans sa robe de cham- bre, vers mes bottines, errant dans les rues étouffantes de chaleur, devant le pâtissier, j'avais cru que je ne pourrais jamais dans le besoin que j'avais d'embrasser ma grand'mère

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