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386 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pour égayer un peu j'ai fait placer dessus une grande pos- tiche en vieux chine, que cela pourrait abîmer. »

Il m'apprit avec beaucoup de tristesse la mort du bâton- nier de Cherbourg : « c'était un vieux routinier », dit-il (probablement pour roublard) et me laissa entendre que sa fin avait été avancée par une vie de déboires, ce qoii signifiait de débauches.

Déjà depuis quelque temps, je remarquais qu'après le dîner il s'accroupissait dans le salon (sans doute pour s'assoupissait). Les derniers temps, il était tellement changé, que si l'on n'avait pas su que c'était lui, à le voir, il -était à peine reconnaissant (pour reconnaissable sans doute). Compensation heureuse, le premier Président de Caen venait de recevoir la xc cravache » de commandeur de la Légion d'honneur. Sûr et certain qu'il a des capacités, mais paraît qu'on la lui a donnée surtout à cause de sa grande « impuissance ». On revenait du reste sur cette décoration même dans VEcho de Paris de la veille. Le directeuT ifavait d'ailleurs lu que le « premier paraphe -» (pour paragraphe). La politique de M. Caillaux y était bien arrangée. « Je trouve du reste qu'ils ont raison, dit-il. Il nous met trop sous la « coupole » de l'Allemagne (sous la coupe).

Comme ce genre de sujet traité par un hôtelier me paraissait ennuyeux, je cessai d'écouter. Je pensai aux images qui iTi'avaient décidé de retourner à Balbec. Elles étaient bien différentes de celles d'autrefois, la vision que je venais chercher était aussi éclatante que la première était brumeuse ; elles ne devaient pas moins me décevoir. Les images choisies par le souvenir sont aussi arbitraires, aussi étroites, aussi insaisissables que celles que l'imagina- tion avait formées, et la réalité détruites. Il -n'y a pas de raison pour qu'en dehors de nous, un lieu réel possède plutôt les tableaux de la mémoire que ceux du rêve. Et puis •une réalité nouvelle nous fera peut-être oublier, ou même détester les désirs à cause desquels nous étions partis.

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