Page:NRF 17.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LES INTERMITTENCES DU CŒUR[1]

Ma seconde arrivée à Balbec fut bien différente de la première. Le directeur était venu en personne m’attendre à la gare, répétant combien il tenait à sa clientèle titrée, ce qui me fit craindre qu’il m’anoblit jusqu’à ce que j’eusse compris que dans l’obscurité de sa mémoire grammaticale, titrée signifiait simplement attitrée. Du reste au fur et à mesure qu’il apprenait de nouvelles langues, il parlait plus mal les anciennes. Il m’annonça qu’il m’avait logé tout en haut de l’hôtel. « J’espère, dit-il, que vous ne verrez pas là un manque d’impolitesse, j’étais ennuyé de vous donner une chambre dont vous êtes indigne, mais je l’ai fait rapport au bruit, parce que comme cela vous n’aurez personne au-dessus de vous pour vous fatiguer le trépan (pour tympan). Soyez tranquille, je ferai fermer les fenêtres pour qu’elles ne battent pas. Là-dessus je suis intolérable », — ces mots n’exprimant pas sa pensée, laquelle était qu’on le trouverait toujours inexorable à ce sujet, mais peut-être bien celle de ses valets d’étage. Je pourrais faire faire du feu si cela me plaisait, (car sur l’ordre des médecins j’étais parti dès Pâques) mais il craignait qu’il n’y eût des « fixures » dans le plafond ; « surtout attendez toujours pour rallumer une flambée que la précédente soit consommée (pour consumée). Car l’important c’est d’éviter de ne pas mettre le feu à la cheminée, d’autant plus que

  1. Extrait de Sodome et Gomorrhe II, ouvrage qui paraîtra prochainement aux Éditions de la Nouvelle Revue Française.