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NOTES 369

penser bientôt, comme d'un autre, qu'on ignore, ne l'ayant pas vécu, la douceur de vivre. roger allard

��LETTRES ÉTRANGÈRES

��L'ANNEE AMÉRICAINE

Croton-sur-Hudson, New-York, avril 1921.

De ma table, la vue plonge, au sud, sur la vallée de l'Hudson. Dans l'air épais et chaud, les cerisiers, les pruniers et les pêchers en fleurs lancent leurs traits de flammes colorées. Le fleuve suit, sur une longueur de vingt milles, la ligne de mon- tagnes bleues qui le limite à l'Occident. Puis il tourne, et on ne le voit plus. Vingt milles encore, et je sais qu'il va côtoyer, dans sa liberté sereine, le tumulte, le bruit, les fièvres de New- York.

Là vivent des millions de créatures humaines, dans le heurt incessant, la bousculade de leurs âmes. Au milieu d'eux, des centaines aux yeux vifs et à l'esprit âpre, se disputent, comme des chiens un os, les trouvailles de la pensée ou de l'expres- sion ; et ils se figurent que l'agitation créée autour de leur ronron ou de leurs grognements, de leurs coups de griff"e ou de leurs cajoleries résume toute l'activité intellectuelle du pays.

Ils n'ont pas absolument tort. New-York est la Bourse de notre production nationale. Il est d'autres centres d'échange où le cours des œuvres s'établit ; mais New-York tient la tête. Si l'on observe la cohue des petits cénacles, le concert discor- dant des voix qui acclament ou qui dénigrent, les parades, au milieu des artistes ou écrivains de profession, de ceux qui s'intitulent oracles ou guides, et qui sont pour la plupart rem- plis de vent et couverts du vernis de la mode ; si l'on note cette hiérarchie de prophètes et de génies, cette séquelle de lettrés, de critiques et de chefs d'école, on est bien obligé de reconnaître là les sons et les odeurs d'une capitale de la culture, d'une métropole, d'un organisme aux nerfs surexcités comme furent,

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