Page:NRF 17.djvu/372

Cette page n’a pas encore été corrigée

366 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

équitablement répartie selon les moyens de chacun. Celui-ci, M. Jean Morax, s'était réservé exclusivement la mise en page des scènes intimes, selon l'esthétique Vieux-Colombier. De sorte qu'après un tableau calme et charmant comme la Chambre de Mical, avec ses plans nus et carrés, le magnifique style jésuite exaspéré du camp de Saûl ou du Temple de Nol apportait justement l'élément souhaité de contraste. Je crois bien n'avoir jamais vu de décor plus pathétique et plus exactement accordé à l'émotion que celui, noir et rouge, du champ de bataille de Guilboa : voici l'exemple type de ce qu'un décor peint peut ajouter à une situation dramatique.

Reste la mise en scène proprement dite qui fait mouvoir toute une foule, dans les costumes les plus beaux et les plus fantasques (je songe au Goliath pareil à un samouraï ou à un homard gigantesque). Un peu gauche parfois, elle est dans l'ensemble, pourtant, surprenante de vie, d'accent, d'ingénio- sité. N'oublions pas que ces acteurs, ces figurants, ces musi- ciens, ces choristes — parmi lesquels il est juste de signaler M. A. Guex, un David d'une force et d'un style étonnants à tous les âges de sa destinée — sont pour la plupart bénévoles : des étudiants, des amateurs, recrutés dans les villes et dans les campagnes : car toute une province s'y est mise ; c'est un ou- vrage collectif. Trouverait-on de pareils amateurs chez nous ? et accepteraient-ils de se soumettre au cours de répétitions lon- gues et dures, à la même loi d'harmonie et d'effacement mutuel qu'ont respectée les peintres, le musicien, le poète ? Voilà ce qu'on a fait en Suisse, sans grands moyens, pour le plaisir d'un public vraiment populaire qui n'eut pas, semble-t-il, un mo- ment d'ennui, ni de déception. — Dans un article paru à la Revue des Jeunes, M. René Salomé distingue judicieusement deux sortes de théâtre : le théâtre dos, littéraire — et c'est le nôtre, en bonne voie de rénovation — et le théâtre social, disons plutôt ouvert, religieux ou civique, qui est tout entier à créer. Mais voici justement sa première réussite vraiment complète, sur une terre où l'on parle français. Invitons poètes, musiciens et peintres — et nous n'en manquons certes point — à se con- certer au plus tôt en vue de fêtes dramatiques qui ne peuvent qu'élargir notre conception du théâtre et qui ne seront pas sans action sur le goût public. henri ghéon

�� �