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NOTES 355

LE ROMAN

LE COTÉ DE GUERMANTES, II. SODOME ET GO- MORRHE. I, par Marcel Proust (Éd. de la N. R. F).

L'apparition de M. de Charlus, au Grand-Hôtel de Balbec, son humeur moins versatile que concertée en ses brusqueries, ses démarches mystérieuses, enfin le soin pris par l'auteur de faire paraître en son plus vif relief le physique de ce person- nage nouveau, tout laissait prévoir que cette étrange figure réflé- chissant la lumière d'un foyer qui ne nous était pas visible, mais que nous devinions situé dans une contrée encore inex- plorée, au delà des paysages où nous nous plaisions à suivre M. Marcel Proust, à la recherche du temps perdu.

D'autres écrivains nous avaient promenés du côté de Sodome et Gomorrhe, mais cette fois-ci ce n'est plus la tournée des grands-ducs superficielle ou plus ou moins truquée, c'est la visite, ou mieux encore la découverte, par un terrible Asmodée, d'un hôpital monstrueux. Pour retrouver une pareille impression de puissance évocatrice il faut remonter au Jardin des supplices, ou mieux encore à ces grands panoramas sur quoi s'ouvrent cer- tains romans de Balzac.

M. Marcel Proust a tenté une entreprise hardie et qui ne pouvait être menée à bien qu'à condition de dépayser complètement le lecteur, de l'acclimater à un univers insolite. Et ce guide implacable est encore un observateur qui se défend d'être un moraliste, qui n'affiche pour le vice ni la haine généreuse d'un d'Aubigné, ni la sympathie aventureuse d'un Wilde, et pour qui le mot vice n'est qu'une convention du discours enfin, qui souriant au passage à tous les visages de la beauté, admire ou plaint sans juger jamais, avec une clairvoyance plus cruelle que l'ironie ou le sarcasme.

Non seulement pareil sujet n'avait jamais été traité ainsi, mais on peut dire qu'aucun écrivain ne l'avait envisagé avec cette même liberté d'esprit, que tempère chez M. Proust une singulière tendresse pour tous les instincts humains si touchants lorsqu'ils sont brimés et meurtris par les lisières de la politesse. La conjonction de M. de Charlus et du giletier Jupien est décrite avec un réalisme qui ne saurait guère être poussé plus loin. Les détails en sont fignolés avec minutie, mais sans complaisance.

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