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NOTES 349

déchirer le cœur à loisir, loin des hommes, mais il ne nous dit rien d'autre, et pourtant cette femme, ce fantôme de femme qu'il n'évoque jamais de façon précise, bien qu'il ne parle que d'elle, dont il ne cite que peu de paroles, dont il ne décrit ni les traits, ni la taille, ^quelques regards à peine, un geste, une inflexion de voix,) cette femme est toujours présente, est tou- jours là. « Est-elle brune ou blonde ou rousse ? Je l'ignore... » mais cette femme, je la connais.

Merveilleuse magie, vertu vivifiante d'un sentiment poussé à l'extrême, qui s'exprime sans cris publics, qui étouffe ses lar- mes, qui se replie sur soi et prend en cette retenue des forces nouvelles, un élan nouveau... Car ce livre est une œuvre à la fois décente et déchaînée, celle d'un homme prisonnier de sa passion, qui ne peut vivre qu'en elle, qui ne peut discourir que d'elle, rêver, raisonner que d'elle, et qui, néanmoins, la garde pour lui. Il revoit partout l'objet de son amour, il le recon- naît dans le murmure du ruisseau qui passe, dans le bruit du vent, dans le chant d'un oiseau, à tel point que sa passion en est comnie dépouillée et qu'il se trouve plus seul encore au centre de ce monde dont les allusions ravivent son souvenir, qui, à tout instant, lui répète un nom, le même, lui montre une imace, la même, ou lui renvoie un invariable écho.

Et qu'on ne vienne pas dire que si Paul Drouot avait para- chevé l'œuvre dont il ne nous reste, raccordés par des mains pieuses, que des fragments, elle eût été plus claire, plus directe, moins voilée. Non : de même qu'il serait oiseux de tâcher de la mieux reconstruire (chacun de nous est libre de la relire comme il lui plaît, quand il la connaît et qu'il l'aime) aussi bien pouvons-nous être certains que Paul Drouot n'y eût rien changé d'essentiel, et le secret, le mystère, l'angoisse rete- nue de ce poème écrit en prose, mais senti, souffert et chanté par un poète, en sont précisément la plus intime essence.

On y lira des pages dont l'accent reste vraiment inoubliable sur l'angoisse de l'attente et sur la solitude, d'autres, aussi belles, sur la paix des champs, l'automne, les voix sourdes du crépuscule, les sous-entendus et les confidences delà nuit, d'au- tres où l'on dirait que le cœur est serré comme avec la main, d'autres où cette main nous prend à la gorge, et d'autres d'un désespoir glacé, d'une angoisse brûlante, d'une indifférence hau-

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