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33<3 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

évidemment il n'y aurait pas de littérature classique, et le mot de classicisme serait inintelligible. Certes il n'est pas le nôtre. Littérairement comme géographiquement. notre terre est faite d'un mélange et d'un équilibre de culture insulaire et de culture continentale. Mais la Prose des Esseintes ou Suianne nous lait rêver une hyperbole, une pureté d'île, état rare, précaire et charmant qui prend fin par le retour de la règle, la rentrée au bercail. Le roman se termine sur l'entrée du contrôleur des poids et mesures...

Un contrôleur qui opérerait sur un registre plus délicat de poids, et qui incorporerait l'île Suzanne à des mesures plus subtiles, ne serait pas embarrassé pour lui trouver d'autres antécédents, et la rattacher à un archipel, à un système insu- laire. Je crois que le monde d'images oià vit M. Giraudoux dérouterait moins un Anglais qu'un Français. Elles rappellent la préciosité du xvi^ siècle et particulièrement les dialogues des comédies shakespeariennes. Or comment Shakespeare, avant de se retirer à Stratford, a-t-il terminé et résumé son œuvre? Il a voulu que sa dernière comédie, la Tempête, fût l'île Shakes- peare. Il s'est représenté en Prospero, créant et organisant autour de lui un monde à lui, un monde qui fût lui, où le génie Ariel fût tout simplement son génie. La poésie de Victor Hugo après 185 1 s'explique comme un effort pour créer l'île Hugo, ■

(Mais h Père est là-has dans Vîle !)

effort d'ailleurs mal réussi parce que le poète empêtré dans une trop abondante tradition copie de trop près une autre île, qui est Patmos. Chateaubriand, après avoir cherché son île toute sa vie, l'a trouvée une fois mort, au Grand-Bé. Et le parcours con- tinental de Napoléon est peu de chose à côté de la perfection plastique des deux îles qui ne vivent que de lui et par lui, celle de sa naissance et celle de sa mort. Il y a peut-être un dialogue possible entre le contrôleur des poids et mesures (dont le critique fait lourdement le personnage) et la charmante Suzanne. Albert thibaudet

P. S. — Comme la plupart des lecteurs de la N. R. F. sont des lecteurs du Temps, je les avertis qu'ils ne me croient pas,

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