Page:NRF 17.djvu/337

Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 331

comme la lune. Le premier ne rayonne que de clarté froide, et le second est un voyage dans un univers à deux dimensions qui non seulement n'est pas le nôtre, mais n'est pas celui de l'au- teur, car l'auteur l'a abstrait de lui par une coupe artificielle, par une démarche de son intelligence. Ce sont là les témoigna- ges d'une période littéraire, les signes d'un art qui fut intellec- tualisé à l'excès, et auquel les acteurs, qui savaient fort bien cela, s'empressèrent tous deux de tourner le dos. Bien qu'ils fussent alors très jeunes l'un et l'autre, ils paraissent avoir écrit ces voyages pour liquider un passé plutôt que pour exprimer leur présent ou pour s'orienter vers un avenir. Ajoutez que c'était pour des débutants, hantés par Flaubert et par le métier parnassien, de magnifiques exercices de style.

Je rattachais, très largement d'ailleurs, ces voyages symbo- listes à tels poèmes mallarméens et aux Illuminations. Mais notons d'abord que s'ils ont subi l'influence de Mallarmé ils n'ont pas subi celle de Rimbaud. Couronne de Clarté et le Voyage d'Urien sont des œuvres de logique liée, de suite oratoire, com- portant tous les développements, les tours de pensée et de style qu'on trouve dans la rhétorique transmise par Flaubert. Ils se placent sur un registre tout à fait difi"érent de l'art direct, discontinu, purifié de ciment commun et de liant intellectuel, tel que le révèlent les Illuminations, la Prose pour des Esseintes ou le Nénuphar Blanc. Et remarquons enfin qu'autant ces œuvres du symbolisme de 1895 ou 1894 ont cessé d'exercer une action littéraire et même d'être connues, autant les formules de Rimbaud et de Mallarmé nous paraissent en plein courant de la littérature actuelle et en pleine influence sur elle.

Du point de vue qui nous occupe, celui du voyage intérieur, la difi"érence est grande. Dans le premier cas il s'agit d'un voyage dans un monde d'idées, de ce qu'on appelait en ce temps-là une idéologie. Mot aussi consubstantiel à la littérature de cette époque que les mots de « méditation » ou d' « éléva- tion » à la poésie romantique. Les trois livres du Culte du Moi sont appelés par M. Barrés «trois idéologies». Les symbolistes se proposaient volontiers d'écrire des « idéologies passionnées », où rien ne manquait plus que la passion. Au contraire les frag- ments de Rimbaud et de Mallarmé que nous opposons ici aux amples idéologies symbolistes nous firappent en ceci qu'ils

�� �