Nous voici à la page 59 ; nous pourrions aussi bien nous arrêter là, car ni la fin du Cœur innombrable, ni les autres recueils ne nous apprendront rien de plus.
- ...La marchande sur sa voiture
- N’a pas plus de quatre saisons
chantait notre pauvre et tendre Pellerin. Ainsi chez Mme de
Noailles, le printemps est toujours vert, et l’été jaune, la
vie est la vie, et l’amour est l’amour. Elle essaye bien de
« passionner le débat », (comme on dit à la Chambre)
à force d’images, mais elle n’y réussit pas toujours.
M. Charles Maurras a disséqué avec une précision cruelle et une admirable lucidité cette frénésie de sentiment, cet abus méthodique d’une belle et forte sensibilité naturelle : « Nulle composition réelle, quoique l’auteur sache toujours où il va et, de biais ou de droit, qu’il y puisse toujours aller. Ni providence ni pensée. Les éléments se groupent, selon leurs poids ou leur venue. Ne lui demandez pas de « soigner » autre chose que ses clameurs. »
Les cris les plus violents, les mieux poussés, voire les plus beaux ont vite fait de lasser. Si sincère qu’elle soit, si nue en sa passion qu’elle désire être vue, Mme de Noailles n’ignore pas le secours qu’on peut attendre d’une rhétorique habile ; elle paraît s’être mise à l’école de Victor Hugo, le maître par excellence du développement lyrique. Mais elle ne contrôle pas sa richesse verbale.
1. L’Avenir de l’Intelligence, le romantisme féminin (2e éd.), p. 226.
2. Cf. les Stances à Victor Hugo (Ehlouissements, p. 179) :
Quand je vois l’infini, je pense : c’est Hugo C’est sa bouche profonde…
Je crois que c’est toi Pan, que c’est toi Jèhova,
loi le chantant Homère, Que V immense océan brisant ses bords s’en va
Dans ta poitrine amère.
Admirons en passant ce phénomène de mimétisme littéraire… et bien féminin : Mme de Noailles célèbre Hugo dans sa langue à lui.