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sa langueur superbe » ; si c’est le spectacle des boucs et des chèvres accouplés ou les hommes qui « vont se pendre ou se noyer » pour la désennuyer ! Ces inventions rappellent d’autres fantaisies, le « point sur un i » de Musset et les gentillesses pour monologue de Rostand. La lune est du reste un très bon astre de touche, si l’on peut dire, et propre à déceler immédiatement le romantisme d’un poète. Il y a une manière d’invoquer les astres qui ne trompe pas :


Belle lune d’argent j’aime à te voir briller…


Moréas, certes, ne s’avise pas de poser à la chaste déesse des questions aussi saugrenues.


Enfin dans cette passion désordonnée que Mme de Noailles a vouée à la nature, il n’entre pas que des instincts ou des réflexes sensuels ; il entre encore des raisons, celles de Jean-Jacques. Ce panthéisme est à base de pessimisme social.


A vingt ans le poète, sans être sorti de son verger natal, a reconnu que le monde était sans cœur, sans amour, et sans pitié, la société mal faite, que la conscience humaine n’était pas « le lumineux domaine où fleurissait la loi clémente et l’équité » ; « que le mal emplissait les cités, que l’homme était dur aux misérables » et qu’en conséquence « les bois de sapins et les bouquets d’érables, le froment, l’orge, le sarrazin, le figuier, le raisin


Faisaient plus d’ombre à l’âme orgueilleuse et blessée
Que le plaisir, que le travail, que la pensée...


Quel plaisir, puisque le vôtre est de vivre avec ces végétaux, et comme eux ? Quel travail et quelle pensée ?


Tout cela pour aboutir à renouveler les vœux de végétalisme cent fois prononcés au cours du livre. Le panthéisme de Mme de Noailles n’a pas, malgré l’apparence, l’assurance tranquille de la conviction. Femme, elle a choisi une doctrine assortie à son tempérament.