Page:NRF 17.djvu/286

Cette page n’a pas encore été corrigée

280 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

un éventail les signes plastiques de son émotion de pein- tre, il n'aurait fait que porter à leur limite ses spéculations introspectives, il n'eût été (et déjà cela serait suffisamment important) qu'un décorateur nouveau trouvant en soi-même des motifs ornementaux comme au fond du creuset le chimiste découvre de nouvelles substances. Mais il n'eût pas été plus grand que les peintres de l'école de Fontaine- bleau, par exemple. Une prodigieuse etplus précieuse auréole l'entoure.

Qu'est-ce qui donne aux œuvres d'Ingres cette force magnétique qui nous attache à elles, nous envoûte et nous poursuit ? Qu'est-ce qui les doue de cette force fertilisante ? C'est le récit qu'elles nous font du drame ineffable qui se joue en cette conscience. Nous avons vu le peintre déformer le modèle sous l'empire de son émotion, puis spéculer sur ses découvertes, faire fleurir les lignes ainsi obtenues, les délivrer de l'emprise de la matière, en amplifier l'essor, les faire rebondir librement les unes sur les autres. Le plaisir que goûte l'imagination à ce jeu est violent, et il est diffi- cile de résister au désir de cultiver cet univers inconnu. Cette liberté, cette facilité, cette complaisance dans l'ara- besque sont les caractéristiques des arts de décadence. Botticelli, par exemple, s'y livre avec délices et laisse couler les lignes onduleuses et distinguées de ses personnages sans se préoccuper de les douer d'une humanité définie. Vénus, Nymphes et Madones obéissent indistinctement à son amu- sement de décorateur habile. Mais Ingres est trop fortement attaché au sol, trop amoureux du réel, trop esclave des objets pour obéir à ce caprice avec tant d'abandon. Voici, à ce stade second, son tableau tout établi : les lignes s'en- lacent les unes aux autres, voluptueusement. Mais elles ne contiennent plus rien de la matière chaude et vivante qui les remplissait. Elles vivent par elles-mêmes ; un effort de plus et elles vont se vider tout à fait, cesser d'être repré- sentatives pour n'être plus que le véhicule de « l'effusion pure ». A ce moment pathétique, Ingres, déchiré de mille

�� �