278 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
s'exclame sur son « manque d'imagination». C'est cette incapacité à rien inventer sans la présence du modèle qui fait la véritable force du grand Montalbanais. Ses toiles mythologiques mêmes ne sont qu'un étalage de figures puisées à même la réalité, et puisées non froidement, rai- sonnablement, mais sous l'empire d'une émotion de vision- naire. C'est parce que sa sensation est pure, d'origine stric- tement optique et absolument débarrassée de la surveillance de l'esprit critique, que ses déformations sont aussi saturées de réalité profonde. A l'encontre de M. Mabilleau, je me réjouis de ce qu'Ingres, de même que Cézanne, ne puisse tracer une ligne ni donner un coup de pinceau sans être « sur le motif » . Ils ne croient tous deux qu'à ce qu'ils voient, ou plutôt à ce qu'ils croient voir et leur imagina- tion ne peut jouer que sur ce que je demande la permission d'appeler les « données immédiates » de leur sensibilité.
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��Ingres vient de sacrifier à sa pure émotion de plasticien. Le modèle disparu, en tête à tête avec lui-même, il se rend compte des fautes de dessin que son transport de tout à l'heure lui a fait commettre. Sa fièvre qui vient à peine de l'abandonner, lui a fait voir les objets autrement qu'ils ne sont, et commettre ainsi des mensonges. Doit-il corriger ces erreurs ? S'il exprime à nouveau ce qu'il sait des choses, ne va-t-il pas mentir à son sentiment ? Dilemne doulou- reux, inconnu des primitifs et des renaissants, mais singu- lièrement fréquent chez certains artistes modernes. Cette nature qu'on voudrait tant respecter, voici qu'on lui fait violence à force de ferveur ! Il arrive un moment, passion- nant entre tous, où comparant le nouveau visage qu'ont revêtu les objets magnifiés par l'impression que nous avons d'eux, avec la figure que la perception réfléchie leur assigne, on demeure saisi, anxieux, ne sachant qui l'on doit croire, de son cœur ou de sa raison. D'un côté, voici l'image
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