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2 54 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

elles peignent les hommes tels qu'ils sont. Et pour être franc tout à fait, rien ne me plaît plus que d'écrire pour me raconter et revivre, en l'écrivant, ce que j'ai vécu, ou pour peindre et raconter ce que j'ai vu. J'ai été pendant douze ans critique dramatique. La plupart des pièces que j'ai vues étaient si fausses dans leur fond comme dans leur forme , qu'au lieu d'en rendre compte je parlais généralement d'autre chose . Il paraît que cela m'a fait une petite réputation, tant la mode s'est per- due d'un écrivain évitant ks phrases, la morale, les opinions admises, même tout intérêt de réussite, pour n'écrire que ce qui lui convient, sans souci de plaire ou de déplaire. Aujourd'hui cette critique drama- tique est finie. Pour me donner à moi-même la comédie, une comédie vraie, celle-là, j'ai bien envie de mettre au net un récit que j'ai écrit autrefois à propos de la mort de mon père, dans lequel je racontais ce que je sais de sa vie.

Je ne sais rien de ses premières maîtresses. Je n'ai vu d'elles que quelques photographies, qu'il gardait dans un coin de son armoire. Sur ce sujet, je ne peux parler que de quelques-unes des autres, depuis ma tante Fanny et ma mère, les deux sœurs, jusqu'à la dernière, ma belle-mère actuelle. Il termina plutôt fâcheusement, avec cette liaison, sa carrière de séducteur, après le passé qu'on lui prêtait. Avoir pu se plaire dans ce compagnonnage, quand il avait, au théâtre, sous les yeux, des femmes jolies, gracieuses, élégantes ? Manquait-il donc à ce point de goût et de finesse ? C'est avec cette dernière maîtresse qu'il se donna enfin l'originalité de se marier, après quinze ans de ménage et à plus de soixante ans d'âge. Il est vrai de dire qu'il ne le fit pas de bonne grâce.

Ma belle-mère me faisait bonne figure, se radoucissait, en ma pré- .sence, à l'égard de mon père, et, en secret, pensait bien me dépouiller aussi de ma part, pourtant bien minime, d'enfant naturel. Il fallait voir sa figure, quelque temps après la mort de mon père, quand je sollicitai d'elle quelques explications et qu'elle dut constater que tous ses calculs n'avaient ser\à à rien à mon égard. Je crois bien qu'elle n'en est pas encore revenue et n'en reviendra jamais. Pour elle, c'est elle l'honnête femme et la victime, et moi le fripon. Je ne lui en ai d'ailleurs jamais voulu le moins du monde. C'est le bon côté de mon caractère ! Je me moque de beaucoup de choses ! Je m'amuse de beaucoup d'autres ! Se fâcher ? En vouloir ? Ne jamais pardonner ? Seigneur ! Je n'ai pas tant de passion. Mon père mort, elle s'est trouvée dans l'embarras, toutes ses manigances se trouvant retournées contre elle. Elle m'a demandé plusieurs fois mon aide ou mon appui. Jamais je n'ai refusé. J'avais une sorte de pitié d'elle comme si elle m'eût été étrangère. A la fin, pour je ne sais quelles excentricités, elle s'est fsdt enfermer. Au

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