Page:NRF 17.djvu/250

Cette page n’a pas encore été corrigée

244 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ces luttes favorisent certains développements, elles impliquent d'autre part le gaspillage de bien précieuses forces...»

«Comme j'aurais aimé l'ivresse», dit-il ailleurs, après la lecture d'une brochure abstentionniste, « si j'étais né à une forte époque, mais la nôtre est si dégénérée physiquement que l'abstinence devient une nécessité à laquelle il faut se soumettre, car cha- cun n'a qu'un minimum de droit à vivre pour lui-même. »

L'innocence de son paganisme n'est pas inconsciente pour- tant : « C'était une journée divine » dit le journal de son second voyage en Italie, « après le dîner je suis allé dans les vignes et me suis étendu nu au soleil. J'ai rarement éprouvé pareille volupté. Tous les olympiens sont descendus vers moi, Aphro- dite en tête du cortège, malgré cela, ou plutôt précisément à cause de cela, tout est infiniment pur, joyeux et beau. »

Ailleurs « J'aime trop THellade, ce qui est grec, ce qui est limpide (non point bien entendu ce qui n'est que rationnel) mais ce qui est corporel, la vie des peuples et des philosophes combatifs et sensuels comme le furent les Grecs et Nietzsche, pour pouvoir me plaire à une religion vague et sans corps ». Remarquons ce trait souligné plus d'une fois, l'horreur du ratio- nalisme, trait nettement Nietzschéen, et commun à la partie la plus généreuse de la jeunesse d'aujourd'hui, tout comme l'hor- reur du mysticisme, lequel lui inspire un instinctif éloigne- ment. Par la seule grâce de ses dons, cet argonaute enfant dou- ble sans effort ces deux écueils d'une époque sans boussole, et arrive tout naturellement à la plus courageuse conception de la vie, celle qui, portant en soi toute joie, en accepte sans restric- tion les risques, l'inconnaissable, — qui ne demande ni arrhes, ni garanties, ni récompense en échange du don total de soi. A quinze ans, le voici qui souscrit plein d'admiration à ce passage de Humboldt : « Il n'y a point de sentiment plus élevé ni d'une plus noble piété devant l'insondable, que celui qui fait Hector s'écrier « Car le jour viendra où la sainte Ilion sera détruite », sans pour cela le détourner un instant de l'héroïque lutte. »

Ouvert et sensible à tout bonheur (son journal n'est qu'un grand cri de joie et de ferveur) l'aspect d'une œuvre d'art, d'un monument harmonieux, d'un bel enfant qui passe, un poème, une idée qui naît en lui, le soleil chaud dans une rue, suffit à l'emplir d'ivresse. Par contre il n'a que mépris pour la volonté

�� �