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INTRODUCTION À UN COURS DE TECHNIQUE POÉTIQUE
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fait que les tonneaux modernes n’ont pas moins d’aptitude à contenir le vin, sans le répandre peu à peu sur le sol, que les tonneaux du XVIIe siècle siècle ou que les cuveaux des anciens. Particularité bien digne de remarque pour le buveur.

Synge nous raconte, dans ses Iles Aran, que trois hommes d’une famille qui fabriquait les vases en bois dont les insulaires font usage, se rendirent ensemble, il y a quelques années, de l’île du centre à la grande île. À leur retour, ils se noyèrent et l’art de façonner ces petits barils disparut avec eux. Car, pour faire un baril, il ne suffit pas d’être inspiré.


Si, vous sentant une vocation de poète, vous voulez apprendre le métier de poète, vous ne découvrirez pas dans le vaste monde une seule école où l’on enseigne ce métier-là, pas même un atelier, pas même une cour de campagne. À vous de réinventer votre métier, d’en attraper les secrets par bribes et au petit bonheur. À moins que, dégoûté d’un tel effort, vous ne décidiez un beau jour qu’il n’y a plus de métier de poète, et que le poème est un objet qui tombe du ciel tout façonné.

Si vous avez eu la chance d’aller au collège, il se peut qu’on vous ait parlé, incidemment, de la manière dont se scande un vers de Racine ; il se peut qu’au cours d’une explication de textes, on ait saisi l’occasion de vous signaler telle ou telle règle de la prosodie de Malherbe. Mais vous n’étiez pas au collège pour apprendre le métier de poète plus spécialement que celui de médecin ou de constructeur de voies ferrées. Vous avez laissé choir tout cela, entre une notion de mécanique et une notion de géographie, dans le vaste vide-poches que vous appelez votre culture générale. Vous saviez bien que l’apprentissage d’une technique spéciale ne commence que plus tard.

Or, futur poète, vous voilà forcé d’être à vous seul le