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2^6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

neuve qui s'établit entre toutes choses, qui existe dès maintenant, et que les hommes ont l'humiliation de subir avant de la con- naître. Pour cela il faut consentir à s'évader de soi. Il faut dénombrer des nécessités qu'on n'éludera point, dans la servi- tude desquelles on s'enfonce en les niant. Les connaître et, après avoir fixé entre elles une hiérarchie, subordonner les plus basses à la plus haute, y consentir, ce serait retrouver une espèce de liberté, la seule qui nous reste.

La plus désirable connaissance dans l'actuel bouleversement du commerce de peuple à peuple paraît bien être celle des men- talités étrangères à la nôtre. C'est un fait dont la guerre nous a révélé l'importance, que chaque groupe humain ayant des mœurs, une histoire, des origines communes, a aussi son âme collective. La langue qu'il parle, et que nous n'entendons pas, ne fait que traduire les réactions d'une sensibilité, les opérations d'une intelligence, les actes d'une volonté qui ne jouent pas à notre façon. Nous souffrons de ne pas connaître les ressorts secrets d'activités qui contrarient la nôtre, et à chaque instant nous subissons des effets dont les causes profondes nous échap- pent. Procéder par saisie intérieure, étudier du dedans l'Anglais, l'Allemand, le Russe, nous servirait autrement que les fasti- dieuses enquêtes de journalistes qui entre deux trains arrachent au sphinx des paroles qu'ils interprètent de travers, ou qui prétendent nous représenter un pays quand ils en ont dénombré les usines, les casernes et les vespasiennes. Seules les études de ce genre permettraient de débrouiller le chaos des nouvelles politiques, économiques, financières, militaires, qui fondent chaque matin sur le lecteur. Elles se sont multipliées depuis quelques années, mais elles sont encore trop rares, et il faut savoir infiniment de gré à ceux qui les entreprennent, qui lèvent sur l'étranger un coin du voile aussi épais à nos yeux qu'à ceux de nos ambassadeurs et de nos proconsuls.

Emile Hovelaque est de ceux-là. L'ouvrage qu'il vient de publier sur la Chine, et dont les Anglais ont signalé l'intérêt avant nous, tire son importance de ce que l'auteur ne s'était pas seulement abondamment et de longue main documenté sur l'Extrême-Orient, de ce qu'il avait fait à plusieurs reprises, et récemment encore, le voyage, mais de ce que son exploration intellectuelle s'ajoutait à d'autres qui lui révélèrent tour à tour

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