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200 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

battre. On saisit là, toute vive, l'opposition entre la continuité d'un amour constamment fidèle, et la diversité de son expression et de son usage. Qu'on imagine Béatrice, devenue l'épouse de Dante, et tenant sa maison.

Je me garderai de blâmer cette évolution, ce serait une belle sottise : elle est harmonieuse, logique, sans être nécessaire, elle nous satisfait comme une belle suite, un déroulement régulier, et, par quelques côtés, un épanouissement. Certains déplorent qu'une assez grande sécheresse désole cet été fructueux. Vains regrets, la saison des fruits n'est plus la saison des fleurs ; mais peut-être ne goûtent-ils pas les fruits, ou peut-être regrettent-ils que ce bel arbre en fleurs ait porté de tels fruits ? Ceci est affaire dégoût...

Ce mouvement de la pensée ne va pas cependant sans quelque inconvénient. Il y a, dans toute évolution, des éléments rétifs, qui gênent le passage, que l'on ne peut assimiler, et qu'il faut rejeter, loyalement. Le païen qui écrivit le Chemin de Paradis, demeure, en s'attachant au bien de la Cité, foncièrement païen. Cependant il reconnaît maintenant l'utilité sociale du christia- nisme, exactement, du catholicisme. Il s'appuie sur cette force, et la flatte. Il la flatte sans bassesse ; il ne se prétend pas son serviteur, mais se sert d'elle, s'en fait une alliée, rien de plus. Il ne tient pas le catholicisme pour une foi qu'il faille partager, mais pour une puissance qu'il est bon d'utiliser. Quelle que soit l'opinion qu'on ait sur cette sorte de sujétion à quoi il condamne la religion, sur ce rôle secondaire qu'il veut lui imposer, on doit reconnaître — je ne dis pas qu'il nourrit pour elle de bons sen- timents — - mais qu'il la traite avec un grand respect intellectuel. Les invectives dont il l'accabla dans le Chemin de Paradis gênent passablement aujourd'hui leur auteur. Il s'eff'orce de les atté- nuer, il en efface les plus vives et tâche d'expliquer les autres. Il n'y parvient pas, avouons-le. Tout le Chemin de Paradis est proprement, et à fond, anti-chrétien. Il fallait, ou bien, pour demeurer logique, condamner décidément ce livre, ou bien dénoncer clairement son aversion ancienne, reconnaître son péché, et former un ferme propos, faire, en un mot, sur ce point-là, l'aveu d'un changement de front. Maurras a préféré une demi-mesure : je crains qu'elle ne satisfasse personne, sauf les amis du paradoxe, car celui-là est bien joli.

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