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LES AVENTURES DE TÉLÉMAQUE I75

haineuse nous regardait marcher au supplice. Aceste, sur un trône de hasard, assistait à nos derniers instants. Les soldats du cortège parlaient entre eux de leurs maîtresses et se moquèrent de nous. Mon vêtement souillé allait mal. Je n'avais mangé qu'un affreux brouet fade. Tout était fini : on nous couronnait de fleurs. Mentor à ce moment usa d'un stratagème et la face des choses tourna. Il fit un grand soleil, le peuple ému de compassion réclama à grands cris notre grâce. Les femmes pleuraient. Nos gardes nousdéliè- r ent avec respect. Le roi laissa tomber son sceptre, descen- dit à notre rencontre et nous serra dans ses bras en nous appelant ses amis, ses sauveurs. A ce prodige, je retombai dans l'admiration de Mentor. Il éclata de rire à mon nez et, en quelques paroles que j'ai mal retenues, plaisanta le sen- timent de déférence que m'inspirait la seule réussite. Aceste nous emmena dans son palais et nous combla de présents. Puis il nous donna un vaisseau pour nous reconduire en Grèce avant que la flotte d'Enée n'ait abordé en Sicile. Dans la crainte de les exposer au ressentiment des Grecs, il nous refusa pilote et rameurs troyens et nous munit d'un équipage phénicien, lequel devait nous laisser en Ithaque et ramener le navire aux Troyens insulaires. Mais les hasards de la conversation qui se jouent des pensées des hommes nous réservaient à d'autres dangers. »

LOUIS ARAGON

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