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l6o LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pitsch et notre Léné. Ils ne nous reconnurent point. L'exaltation était peinte sur leur visage.

Je ne sais trop ce qui se passa juste à ce moment, mais un mot, dans la foule, vola de bouche en bouche, se mêlant aux syllabes de l'hymne sainte. Peut-être avez-vous déjà pro- noncé le mot allemand « hut » et sans doute ne vousa-t-il point paru présenter la moindre particularité. Mais vous ne savez ce que peut devenir ce mot pacifique quand il est vociféré par trois ou quatre cents bouches furieuses ; avant même que nous eussions pris conscience de la signification de ces cris, l'abbé Kampitsch, jaillissant de la masse, s'était rué sur Thierry et lui arrachait son chapeau qu'il jeta par terre.

Vingt dieux ! la sale minute ! et comme nous fûmes tous promptement décoiffés. En ce qui me concerne, la besogne fut assumée par un montagnard hirsute, barbu de noir jusqu'aux yeux qu'il avait, féroces et fulgurants. Puis le monstre me saisit au collet et se prit à me secouer. Un tumulte efîro3^able s'ensuivit : la foule nous bloquait contre la façade de Tauberge, avec des hurlements, des impréca- tions ; certaines femmes continuaient à chanter, notre horreur en fut accrue. J'entrevis Gaspard, pâle et calme, expédiant maintes bouteilles sur les têtes des assaillants. Raphaël, le plus petit de nous six, tentait de se glisser au ras de la muraille ; mais il fut saisi aux cheveux par une femelle frénétique en laquelle je reconnus la douce Léné. Des autres, de Neek, du Biel, je ne sus brusquement plus rien. De gros nœuds de populace s'étaient formés dont ils devaient, chacun, constituer en quelque sorte le noyau.

Il ne faut pas trop chercher à retracer des moments tels que celui-là. On en corrompt; avec les mots, la fou- droyante, la terrifiante grandeur. Je nous vis, dans un de ces éclairs qui visitent l'esprit au fort du péril, je nous vis broyés, piétines, livrés aux fauves, consumés, parmi les clameurs, sur ce bûcher qui couve secrètement au fond des multitudes religieuses. Je fermai les yeux et m'aban- donnai.

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