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150 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

tal, à la faille ténébreuse où nous fit cheminer tout une après-midi le très plaisant Joseph Tiefenau.

A deux heures en amont de Matsch, une sale bourgade nommée Glieshôfen est embusquée sur le sentier des voya- geurs. Elle nous fut fatale ; on aurait pu s'y attendre avec des gars comme Thierry, comme Gaspard et comme tous les autres. Une foudroyante attaque du parti de la bière trouva le parti du vin blanc ferme sur ses pattes, je vous prie de le croire. Joseph Tiefenau s'éclipsa sous le prétexte d'aller embrasser sa fiancée : chaud lapin que ce Tiefenau ; il avait une fiancée par village. Une heure admirable et querelleuse s'écoula, sous le genévrier sec qui tenait lieu d'enseigne.

Le Biel, alourdi d'une bière perfide, s'épuisait contre Neek, dans une lutte inégale. Gaspard feuilletait le registre de l'auberge et formulait gravement cette remarque :

— Il n'est pas venu un seul Français ici depuis treize ans, dix mois et dix-huit jours. Les Français ne sont pas balladeurs.

Moi, je regardais, vers le bas de la vallée, de misérables cultures qui s'accrochaient de ci, de là, aux parois de la montagne. Parfois un champs bossue, étayé de petites murailles et grand comme une carte à jouer, aventurait, jusque dans le dédale des rocs, une maigre barbiche de seigle. Très loin, perchée sur un cap, environnée de pins hargneux, une bicoque blanche gardait, comme un berger, d'immenses solitudes. Elle me parut alors affreusement triste, malgré le soleil; mais il m'arrive d'y penser comme au paradis, maintenant que j'ai vécu vingt ans de plus parmi les hommes.

Joseph Tiefenau, ayant copieusement embrassé ses multiples fiancées, revint nous prendre et ne refusa pas un verre de vin suret. Puis nous nous ruâmes sur le Hol- leweg.

N'attendez pas que je vous raconte tout, ni la bataille rangée que, suants et soufflants, les deux partis des

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