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140 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

lui ; l'un procède du général et déduit, l'autre induit et, s'il cherche la règle, c'est en partant d'un cas unique, par- ticulier jusqu'à l'anomalie'.

Si clair que nous paraisse à présent ce roman — et j'au- rais dû dire encore que, de tous les livres de Stendhal, je tiens celui-ci pour le plus délicat et le plus joHment écrit — il nous laisse pourtant insatisfait. Du moment que Stendhal abordait ce sujet scabreux, on eût souhaité le lui voir traiter jusqu'au bout ; or il semble qu'au dernier moment le cœur lui manque, qu'il recule devant la dernière question, la plus importante sans doute ; en fin de compte, il l'esca- mote ; il nous laisse nous demander : Comment Armance eût-elle accueilli la confession d'Octave ? C'est bien là que nous l'attendions. Devant l'insuffisance de son amant, que peut devenir l'amour d'une maîtresse ?

La lettre à Mérimée nous renseigne encore sur ce points et l'on y voit que cette question, pour être éludée dans le livre, n'en a pas moins préoccupé Stendhal. Cette lettre

��1 . Que chacun soit plus précieux que tous, je ne prétends nullement que Stendhal ait été le premier à le penser. Cette grande vérité psycho- logique, que déjà nous enseignait l'Evangile, nous la retrouvons plus ou moins formulée dans Montaigne, dans Retz, dans Saint-Simon, dans Montesquieu, dans Rousseau. (Je ne considère ici que la littérature française). Mais jusqu'à Stendhal, et l'on pourrait dire : jusqu'au roman- tisme, l'étude de l'homme occupe plus que l'étude des hommes. Molière trace des types bien plutôt que des caractères ; et La Bruyère, le plus souvent, malgré le titre de son ouvrage. Si Racine a tendance à individualiser ses héros, Corneille, par contre, et Voltaire plus tard, généralisent. La Rochefoucauld, en dépit de sa subtilité, cherche à nous proposer une sorte de canon intime — et tout le grand siècle avec lui — une image de l'homme exemplaire, dont toutes les réactions affec- tives, toutes les passions, puissent en quelque sorte se codifier. Et je sais bien qu'il ne serait pas malaisé de trouver dans le petit livre des Maximes quelques remarques particulières, tout de même que, dans l'œuvre de Stendhal, maintes constatations d'ordre général, mais il n'est peut-être pas imprudent d'avancer que le besoin de généralisation chez le premier, de discrimination chez le second, l'emporte — et de différencier, sinon toujours les individus, du moins, comme déjà nous y invitait Montesquieu, les peuples, les races, les pays.

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