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134 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

désespérément, en dépit de lui, du serment qu'il s'est fait de n'aimer jamais, sachant bien qu'il ne peut brûler que d'une flamme toute mystique et que, ô honte ! sa chair doit rester sourde et ne répondre point à l'appel ; sachant qu'il doit décevoir l'être aimé.

Il fallait, pour donner à ce drame son éloquence la plus pleine, douer Octave des scrupules les plus exquis ; car, avec « une âme commune », Octave eût pu tricher — Stendhal le note ; et, comme tout, dans le caractère de son héros, s'éclaire, après que nous connaissons son secret, nous comprenons pourquoi Stendhal insiste à ce point sur ce « sentiment du devoir » qui domine toutes ses pensées : Octave ne consent à envisager le mariage et l'amour qu'avec toutes les obligations qu'ils entraînent — obligations qu'il sait bien qu'il ne peut tenir. Nous comprenons alors pour- quoi, d'abord. Octave songeait à se faire prêtre, non poussé par aucune vocation religieuse, mais lâchement et comme pour dissimuler sous la règle la cause d'un célibat forcé. Nous comprenons enfin ces pages, parmi les plus mysté- rieuses et les plus intéressantes du livre où il nous est parlé des mauvaises fréquentations d'Octave, alors qu'il est le plus amoureux de Mademoiselle de Zohiloff ; nous comprenons qu'il cherche auprès des femmes de mœurs faciles, de ces femmes « dont la vue est une tache », la possibilité d'expériences qui enfin le rassurent, ou qui confirment la raison de son désespoir.

Ainsi donc l'impuissant peut être amoureux. Stendhal admet ici une distinction possible entre deux éléments que l'amour d'ordinaire réunit. La division, si manque l'un des deux éléments, est fatale ; mais combien n'est-elle pas plus remarquable encore, lorsqu'elle n'est pas obtenue par défaut. Je ne sache pas qu'elle puisse être plus nette- ment et mieux établie que dans l'admirable roman où Fielding fait Tan Jones, son héros, culbuter sur sa route les filles d'auberge et montre celui-ci d'autant plus paillard que d'autre part il est plus amoureux. « La délicatesse de

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