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et neuf, et, respirant de tout son cœur, non seulement le parfum des fruits, mais celui du jardin sur qui s’ouvre la fenêtre ; oser prendre comme sujet, non le compotier matériel, bien palpable, ovale blanc dans le rectangle gris de la fenêtre, mais la poussée verdoyante des arbres derrière les grilles du balcon, et l’éclatement du ciel bleu, déformant les lignes architecturales de la croisée, n’est-ce pas aussi bien respecter la Nature ?

Je demande à mes contradicteurs courtois de regarder, en faisant un instant abstraction de leurs habitudes, cette grande toile de Picasso d’une fraîcheur impressionniste dont pourrait s’enorgueillir Matisse, où la nappe déverse sa blancheur sur le mur, oià le vert des arbres qu’on ne voit pas s’insinue entre les barreaux du balcon, où la fenêtre, enfin, s’efface devant l’irruption soudaine d’un léger et vaste ballon d’azur. Franchement, entre le dénombrement méticuleux des fruits qu’enferme le compotier (procédé classique) et la description plastique de l’atmosphère dans laquelle il baigne, y a-t-il une si grande différence d’intention ?

Dans les deux cas: représentation de l’objet (abstraction faite des forces qui l’entourent et conspirent contre son intégrité) et représentation de son cadre pittoresque, il }’ a égal respect de la Nature et égale violence faite à la Nature. Il est impossible de sortir de cette alternative. Car il y a antagonisme absolu entre l’objet en soi, matériel, pur, intact, et la lumière, l’atmosphère, qui le désagrègent — sans compter ces forces morales qu’il conviendra d’ajouter un jour à celles-ci et qui modifient l’objet par ce que j’appellerai le choc en retour de la sensation.

Il faut louer Picasso de bien des choses : c’est ce que je ferai durant les loisirs des vacances ; mais surtout, à mon avis, d’avoir eu l’audace, après Cézanne, d’exprimer, plutôt que les objets usuels, les mille dieux plastiques qui les accompagnent, et qui sont encore invisibles aux yeux des hommes distraits.

ANDRÉ LHOTE

Les véritables « Amis du Louvre » ont de plus en plus fréquemment l’occasion de s’alarmer. Des événements divers menacent notre Musée national. Hier, projet d’un tourniquet à