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NOTES III

respect de la Peinture, et qu'un regard trop candidement posé sur l'extérieur ne parviendra jamais à y distinguer les lois de l'art. Qui se chargera de délimiter le domaine naturel qui ressortit au jugement du peintre ? Pour mon compagnon, la Nature en l'occurrence, se limitait à l'objet matériel, compotier de porce- laine blanche, empli de fruits bien définis. Le rapport du ton de ce compotier, à ce qu'il m'affirma, avec le ton des fruits et le ton du fond, doit uniquement constituer le sujet du peintre : tout le reste n'est que littérature. Les toiles de Picasso, fruits d'une investigation sagace, multiple, exhaustive au plus haut degré, étaient la meilleure réponse à fournir à mon contradic- teur. L'imagination de celui-ci est courte, d'une seule pièce, elle ne peut concevoir qu'une unique expression de la réalité. Le portrait de la nature-morte une fois tracé, il n'y a pas place dans son esprit, pour une seconde œuvre. Est-ce à dire qu'un exercice aussi exclusif lui permet de représenter intégrale- ment les éléments présents à ses yeux de cette nature tant adorée? Pas du tout. Peindre est essentiellement opérer un choix parmi les éléments contradictoires que nous offre un spectacle. L'artiste le plus fidèle aux exigences classiques ne peut donc créer une œuvre qu'en sacrifiant mille forces vir- tuelles à celles que l'habitude lui fait presque machinalement adopter. Ce qui fait que c'est lui, mon compagnon, qui prati- quant dans la multiplicité des formes vivantes un tri prévu sert la cause contraire à celle qu'il exalte. Adopter une attitude déjà prise par le voisin, n'est-ce pas, en quelque sorte, manquer de déférence à l'égard de la Nature, qui renouvelle sans cesse, chez nous, le sentiment que nous avons d'elle ?

Picasso, et après lui quelques rares artistes qui ne sont pas uniquement des intellectuels, ont appris à varier l'angle de leur vision, et négligeant du même coup les perspectives usées et les formes classiques d'expression, ont mis au jour des mondes insoupçonnés, que ne reconnaît pas le terne regard des peintres soumis à l'orientation de l'Ecole, militante ou éman- cipée.

Peindre le compotier dans le sens habituel, c'est reproduire sa matière et arrêter son regard à Vatmtomie de l'objet. Le pro- cédé est bon et nous a valu entre autres maîtres, l'admirable Chardin. Mais doubler son regard visuel d'un regard sensible

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