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98 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

fesseurs) et le moment où il est mithridatisé par un artifice de l'instinct contre les livres, l'homme est un vieillard. Ses pre- miers écrits sont les mémoires de sa vieillesse.

Mais parmi les radotages qui décèlent l'écrasement de l'esprit sous les lectures accumulées pendant des milliers d'années, la jeunesse d'un Anicet perce déjà. Aujourd'hui, je suis d'humeur à ne goûter en lui que cette saveur moderne : Anicet aime les femmes. Voilà qui est nouveau, voilà qui est de demain. Voilà qui rejette en arrière cette fameuse « fin de siècle » ou plutôt tout ce lointain xix^ siècle, au cours duquel à cause d'une mau- vaise hygiène l'homme a été se brouillant de plus en plus avec la femme.

Mais Aragon, prisonnier encore de l'idéalisme de ses aînés, ne parle pas crûment de ses préférences ni de ses actes.

Jacques Rivière a écrit que la littérature française avait été plus loin que nulle autre dans la voie de la sincérité. Au con- traire, l'exemple de cette littérature souligne un certain men- songe de toute -littérature. Car enfin les Français sont connus dans le monde pour le goût qu'ils ont de l'amour physique ; eux seuls, dans les temps modernes, ont courageusement poussé à la fois l'aventure sentimentale et la quête du plaisir, et avoué dans leurs mœurs les conquêtes qui en ont résulté.

Eh bien ! ils n'en laissent rien passer dans leur littérature, ou si peu, ou d'une façon si dissimulée, si convenue, si hypocrite. Oui, les Français sont plus hypocrites que les Anglais, car su ce chapitre les Anglais n'avaient rien à cacher, tandis que les Français avaient quelque chose à dévoiler.

On peut s'en rendre compte aujourd'hui à la lumière récente d'un événement littéraire qui marque décisivement une étape des moeurs.

Il faut que l'histoire naturelle de l'homme ose entamer l'étude de l'homosexualité pour qu'on s'aperçoive que toute la psychologie de l'amour dont nous nous repaissons depuis trois ou quatre siècles n'a été qu'une perpétuelle dérobade, un leurre constant. A toute cette littérature française qui s'est fait une répu- tation d'audace en multipliant les allusions à notre souci, à notre ressort essentiel : l'action génésique, je préfère la littérature anglaise qui au moins s'est abstenue entièrement et s'est privée loyalement du bénéfice d'un faux cynisme, puisqu'elle ne pou-

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