Page:NRF 17.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

94 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de trop près pour que nous eussions le temps de nous 3" arrêter. Et pourtant, nous savions déjà si bien que la poésie n'a pour fonction ni de renseigner ni de distraire, et nos pensées ordi- naires planaient, alors, à tant de lieues au-dessus de tout état social ! Mais c'est que la vie ne nous avait pas encore appris à découvrir dans les livres ces formules algébriques où les mora- listes ont su la condenser : nous ne suivions plus. Mais à quoi bon essayer de retrouver Fétat d'esprit dans lequel nous étions, nous les jeunes contemporains d'André Gide, à l'époque où nous avons lu pour La première fois Païudes ? Qu'il nous sufSse de dire tout de suite que cette seconde lecture^ plus atten- tive, plus reposée, plus critique, nous a été encore plus agréa.ble etmême, oui, plus profitable qxie la première.

C'est un livre charmant. Pour la désinvolture, l'aisance dis- tinguée, l'élégance dans le laisser-aller, je ne trouve à Iub com- parer — parmi ses. contemporaias, — que les li\Tes de Jean de Tinan, et pour la vivacité et le bonheur du dialogue, que ceux de M"^* Colette. Tout y marche si allègrement qu'on ne cesse guère de sourire, et parfois même on ne peut s'empêcher de rire tout haut, comme à ce passage, d'urne absuréité exquise :

« Tu me rappelles ceux qui traduisent : « Numéro Deus impare gaudet », par : Le numéro Deux: se réjouit d'être impair, et qui trouvent qu'il a bien raison. Or s'il était vrai qTie l'imparité porte en elle quelque essence de bonheur, — je dis de liberté — on devrait dire au nombre Deux : mais, pauvre ami, vous ne l'êtes pas, impair ; pour votis- satisfaire de l'être, tâcbez aui moins de le devenu'. »

A ces qualités s'aj'oute une espèce de malice, ou de taquinerie^ à laquelle André Gide ne devait jamais complètement renoncer dans la siùte, et qui est une des caractéristiques de son style. Cette malice, plus abondante ou plus visible 'dans Paluâis quiÊ darts aucun autre livre de Gide, se manifeste tantôt par la recherche, pour le plaisir de les franchir, des obstacles que pré- sente la syntaxe, tantôt par uue manière aisée et naturel le d'être difficile et de paraître artificiel, tantôt enfin, par des caprices déroutants, comme celui qui l'a fait placer tout à la fin de son livre, en post-face, ce qui en est réellement ^argument, la préface et l'explication :

« Il fallait, resongeant de là-bas à Paris, à cette agitation sur

�� �