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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 7J

guerre de plume que ses auteurs prenaient terriblement au sérieux. Remarquons à quel point ce dénouement tragique est faux. Si Jaurès a été assassiné dans Tair surchauffé des derniers jours de la paix, aucun attentat de ce genre n'a été commis pen- dant la guerre contre un journaliste quelconque, les rédacteurs du Bonnet Rouge n'ont jamais été molestés ni dans les restaurants de nuit ni ailleurs, et les civils à la Camus qui dénonçaient à la police des propos de chemin de fer et de cave pouvaient être portés aux nues par des journalistes, ils étaient tenus pour mouchards parle sentiment public et français. Cette haine d'un peuple excité contre un penseur qui dit sa vérité dans la mesure où la censure la laisse filtrer n'a jamais existé qu'en un Paris mythique, vu de Genève ou de Sierre. Quant aux injures qu'a encaissées pour son compte M. Romain Rolland, un peu de philosophie 4evait les lui faire considérer comme les très petits risques professionnels qu'en cas de guerre on court de l'autre côté de k frontière, et elles ne l'ont heureusement pas tué.

Mais ce sujet apparent de CUramhault n'est pas, M. Rolland nous en prévient, son sujet réel : « Le sujet de ce livre n'est pas la guerre, bien que la guerre le couvre de son ombre. Le sujet de ce livre est l'engloutissement de l'âme individuelle dans le gouffre de l'âme multitudinaire. C'est, à mon sens, un évé- nement beaucoup plus gros de conséquences pour l'avenir humain que la suprématie passagère d'une nation. »

Je ne crois pas que cette dernière phrase soit vraie. La supré- matie ou l'affaiblissement d'une nation, même s'ils ne sont que passagers, peuvent constituer, l'histoire le prouve abondam-ment, des événements d'une importance capitale pour l'avenir humain. Et la grande guerre aura probablement des suites aussi incal- culables que l'effondrement de l'Empire romain. Q.uant à l'en- gloutissement dont parle M. Rolland, il est impossible tant que l'imprimerie, la culture et en général la civilisation subsisteront. Seul un avènement universel du bolchevisme le réaliserait, et cette conquête du monde civilisé par le Chinois, le Juif et le Russe paraît aujourd'hui aussi peu probable que l'histoire de la Béte Cotiqiièranie contée par M. Mac Orlan. M. Rolland, comme l'autre musicien de Genève, a dramatisé à l'excès sa petite aventure personnelle. La mobilisation générale était une nécessité doi temps de guerre qui, d'un point de vue tout égoïste

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