Page:NRF 16.djvu/744

Cette page n’a pas encore été corrigée

738 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

équations fondamentales que développe Tristan Bernard et dont il ne s'écarte pas, même dans les plus petits détails.

A'oici, empruntés au texte de VEnfaiit Prodigue, quelques exemples de « végétalisation » ou de « minéralisation » de l'humanité : « Très peu de sourcils avaient poussé dans les envi- rons de ses mornes yeux. » (p. 20). — « Jules Zèbre, remisier vénérable, très eniouré de barbe et de cheveux blancs. » (p. 8). — «... M"'= Irma. Le jeune homme éprouvait un vrai mal de mer devant cet océan de fadeur. » (p. 27). — « M™^ Ore- ga... ne semblait plus très ferme, comme si, au cours de son existence, elle eût été plusieurs fois gonflée et dégonflée. »

(p. 48).

L'outrance même de cette philosophie masque ce qu'elle comporte de dégradant pour l'homme. Le déterminisme absolu, présenté en action, est toujours comique, car il se heurte à l'incrédulité intime des spectateurs ou des lecteurs, et leur per- met d'en rire sans contrainte, ni arrière-goût d'amertume. Les procédés vaudevillesques n'en sont que l'application méca- nique, le vaudeville étant un engi'enage une fois mis en marche et dont on ne s'évade plus. Tristan Bernard dépasse ce bas degré de comique, en l'appliquant non plus aux actes, mais aux sentiments, en substituant sa psychologie passe-partout à l'étude directe des caractères.

Là où les sentiments les plus divers sembleraient de mise, chez un assassin, un héros, un automobiliste, un boxeur ou un diplo- mate, placés dans les situations les plus dissemblables, nous voyons inlassablement reparaître, et de la manière la plus plau- sible, l'éternelle paresse et l'éternelle imagination. L'effet comique bien connu de la répétition se double de celui de l'inattendu.

Cette méthode permet d'agrandir le domaine du rire de tout le dramatique et même de tout le répugnant. Molière, remar- quons-le, est le seul qui nous ait fait rire avec des vices ; les moins grands que lui n'osent aborder que les mœurs, les ridi- cules. Et Molière lui-même doit s'en tenir aux vices les moins affreux, les moins anti-humains. Certaines scènes de VAvare confinent au drame, on a eu raison de le répéter. Harpagon est par moments aussi tragique que Mithridate et que Grandet. Au lieu que Tristan Bernard, en dissociant l'acte des sentiments de

�� �