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Évidemment entre les pieds et les cheveux, il y a tout le corps. On peut pourtant penser que Baudelaire se serait longtemps arrêté aux genoux quand on voit avec quelle insistance il dit dans les Fleurs du Mal :

Ah ! laissez-moi le front posé sur vos genoux

(Chant d'Automne)

Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

(Le Voyage)



Il n'en reste pas moins que cette façon de dérouler le trésor des profondes caresses est un peu spéciale. Et il en faut venir à l'amour selon Baudelaire, tout en taisant ce qu'il n'a pas cru devoir dire, ce qu'il a tout au plus par instants insinué. Quand parurent les Fleurs du Mal, Sainte-Beuve écrivit naïvement à Baudelaire que ces pièces réunies faisaient un tout autre effet. Cet effet qui semble favorable au critique des Lundis, est effrayant et grandiose pour quiconque, comme tous ceux de mon âge, ne connut les Fleurs du Mal, que dans l'édition expurgée. Certes nous savions bien que Baudelaire avait écrit des « Femmes Damnées » et nous les avions lues. Mais nous pensions que c'était un ouvrage non seulement défendu mais différent. Bien d'autres poètes avaient eu ainsi leur petite publication secrète. Qui n'a lu les deux volumes de Verlaine, d'ailleurs aussi mauvais que les Femmes Damnées sont belles, intitulés Hommes, Femmes. Et au collège les élèves se passent de main en main des ouvrages de pornographie pure qu'ils croient d'Alfred de Musset, sans que j'aie songé depuis à m'informer si l'attribution est exacte. Il en va tout autrement de Femmes Damnées. Quand on ouvre un Baudelaire conforme à l'édition primitive (par exemple le Baudelaire de M. Féli Gautier), ceux qui ne savaient pas sont stupéfaits de voir que les pièces les plus licencieuses, les plus crues, sur les amours entre femmes, se trouvent là, et que dans sa géniale innocence le grand Poète avait donné dans son livre à une pièce comme Delphine