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mortel besoin qu'on refît son lit, alors c'est une « anticipation » de son inconscient, un pressentiment du destin qui lui dicta un vers pareil. Aussi je ne puis tout à fait m'arrêter à l'opinion de Paul Valéry qui, dans un admirable passage d’Eupalinos, fait ainsi parler Socrate (opposant un buste fait délibérément par un artiste à celui qu'a inconsciemment sculpté au cours des âges le travail des mers s'exerçant sur un rocher) : « Les actes éclairés, dit Valéry prenant le nom de Socrate, abrègent le cours de la nature. Et l'on peut dire en toute sécurité qu'un artiste vaut mille siècles, ou cent mille ou bien plus encore ». Mais moi je répondrai à Valéry : « Ces artistes harmonieux ou réfléchis, s'ils représentent mille siècles par rapport au travail aveugle de la nature, ne constituent pas eux-mêmes, les Voltaire par exemple, un temps indéfini par rapport à quelque malade, un Baudelaire, mieux encore un Dostoïewski qui en trente ans, entre leurs crises d'épilepsie et autres, créent tout ce dont une lignée de mille artistes seulement bien portants n'auraient pu faire un alinéa. »

Socrate et Valéry nous ont interrompu comme nous citions le vers sur les pauvres. Personne n'a parlé d'eux avec plus de vraie tendresse que Baudelaire, ce « dandy ». Une bonne hygiène antialcoolique ne peut pas approuver l'éloge du vin :

A ton fils je rendrai la force et la vigueur
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L'huile qui raffermit les membres du lutteur.

Le poète pourrait répondre que c'est le vin et non lui qui parle. En tout cas, quel divin poème. Quel admirable style (« tombe et caveaux »). Quelle cordialité humaine, quel tableau esquissé du vignoble ! Bien souvent le poète retrouve cette veine populaire. On sait les vers sublimes sur les concerts publics :

ces concerts, riches de cuivre
Dont les soldats parfois inondent nos jardins