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63-8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

leurs nuances, et dans des paroles veloutées, ses plus âpres ou ses plus pittoresques sensations, suffisaient, joints à un esprit facile et gouail- leur, à faire un grand romancier, Mme Colette, — autrefois Mme Co- lette Willv — serait un grand romancier. C'est un rare prosateur, c'est un de nos meilleurs poètes en prose, et nul ne pourrait songer à le nier, qui connût bien quelques fragments de Claudine en ménage, une bonne partie de la Retraite Sentimentale, des chapitres des Vrilles de la vigne, et deux ou trois passages réellement incomparables de la Vaga- bonde. Mais une grande romancière ? que non pas. Mme Colette, qui a des dons d'analyste, a su, en des pages cyniques, troublantes et belles dont quelques cris réalisent parfois Mon cœur mis à vu de Baudelaire, donner des aperçus nouveaux sur une certaine femme (et non sur « la Femme », comme on l'a dit en généralisant trop, car, Dieu merci, nos mères n'ont rien d'une Claudine, d'une Minne ou d'une Renée Néré 1) Mais elle ne sait pas créer des personnages, les animer de vie, et, tout autour de la femme perverse, égoïste, lâche et séduisante qui composait jusqu'ici le centre de chacun de ses récits, il n'\' a que des fantoches. Ce sont tous des caricatures, et non point des caricatures à la Daumier ou à la Forain, pleines d'âpreté et de vérité, mais d'amusants dessins sans portée, comme on eti trouve dans la Vie Parisienne.

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��DE L'AGE DIVIN A L'AGE INGRAT

Des derniers souvenirs, que Francis Jammes a donnés à la Revue Universelle (i'^ Mars), détachons ce passage sur Jules Verne :

Trop de pions n'ont pas compris la grandeur homérique de ce cons- tructeur qui, ayant posé ses fondations au centre de la terre, élève à travers l'océan sa cathédrale jusqu'au ciel. Que n'a-t-il pas vu ? Que n'a-t-il pas ressenti ? Non pas à la manière d'un voyageur qui parcourt effectivement le monde et n'en rapporte rien, mais comme saint Jean de la Croix qui, muré dans sa cellule, y trouve :

... les montagnes.

Les vallées solitaires et boisées,

Les îles étrangères.

Les Jleuves retentissants.

Le murmure des ^éphyrs amoureux.

Que n'a pas embrassé son génie dans les trois règnes, sous toutes les latitudes et longitudes ? Quelles vocations n'a-t-il pas suscitées, et, à l'heure où j'écris, combien de marins écoutant la mer leui- parler à

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