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630 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

le conte humoristique intitulé Le châliment de Khipil, afin d’illustrer l’habileté de l’auteur à manier l’apologue. La conclusion de son article est que Shagpat rasé, comparé aux ouvrages d’imagination récents, est, « pour employer une image orientale, «comme le pommier parmi les arbres de la forêt» .

Il est curieux de voir George Eliot, la traductrice de Strauss et de Feuerbach, l’amie de Spencer et de Lewes, s’enthousiasmer pour Shagpat Rasé ! Elle fait lire l’ouvrage autour d’elle, en reparle encore dans un article « Art et Belles-Lettres », donné à la IVcslminster Review en avril 1856. De son mieux, elle essaye de procurer des lecteurs à Meredith. Elle-même n’avait encore écrit aucune œuvre d’imagination. Sa première nouvelle, Ainos Bartoii, ne devait paraître qu’en 1857, la même année que Farina (Elle loua ce nouveau conte, mais avec de sérieuses réserves) ; Adam Bede, en 1859, la même année que Richard Feverel ; Middlemarch en 1871, peu après Harry Richmond. A partir de 1857, elle garde le silence sur Meredith, et dans cette froideur dédaigneuse à l’égard de celui qu’elle a loué si chaleureusement, il y a comme un ressentiment dont nous connaîtrons peut-être la cause un jour. D’autre part, la Correspondance de Meredith ne renferme que de brèves allusions au succès d’Adam Bede et à « la plus grande des femmes écrivains », et nous savons qu’il n’avait pas le même respect pour elle dans sa conversation. Un ami ayant comparé George Eliot à une guerrière qui, « armée de toutes les philosophies, est apte à fondre sur un lieu commun », il rit et envie l’épigramme à son auteur.

Il est certain que George Eliot porte moins légèrement que Meredith sa vaste érudition. Sa philosophie est parfois un peu pédante ; et ses analyses ou ses descriptions parfois un peu longues. Son humour tranquille, sa puissante lenteur, son réalisme minutieux de peintre hollandais s’opposent à l’esprit, à l’imagination ailée, à la fantaisie de Meredith, qui, tout en étant un psychologue merveilleusement subtil, a une vie, une impulsion, une flamme créatrice intenses. Mais les qualités de George Eliot étaient beaucoup plus faites que celles de son contemporain pour plaire à la moyenne des lecteurs. Et lorsqu’elle appliquait ces qualités à décrire la vie provinciale, les petites gens de la campagne ou des villes calmes de son enfance, elle

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