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��LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
��et les exagèrent ou les faussent en les couchant sur le papier. Rien n'est moins ressemblant, et rien n'est plus curieux que ces portraits où l'auteur est aussi le modèle, quand cet auteur est jeune, et pose, non pas devant le public, ni devant la postérité, mais devant soi, et reproduit une image, non point véritable, mais conforme à l'aspect sous lequel il se voit, se rêve, ou pense se manifester, et que, à son idée, les regards étrangers défor- ment. Car, s'il se peint ainsi, c'est presque toujours poussé par le sentiment où il est que les autres le connaissent mal, et igno- rent son intimité :' ainsi, il prend, inconsciemment, le contre- pied de l'opinion qu'on a de lui, et, plus qu'à se pénétrer, c'est à signaler l'erreur des autres à son sujet qu'il s'attache.
Jean Hermelin n'est pas fait autrement, quoiqu'il veuille se connaître, et prétende n'avoir aucun autre souci. Il l'affirme dans un préambule, destiné, comme tous les préambules à des ouvrages de ce genre, à écarter le reproche d'invention littéraire, ou de délectation orgueilleuse. Et, selon l'usage, aussitôt pro- clamée sa ferme volonté de fuir ce double péché, il s'y enfonce jusqu'aux yeux, lise défend d'écrire une confession, et c'est une confession qu'il écrit : c'est commencer bien jeune, et cela caractérise une âme que cette complaisance qu'elle met, à dix- huit ans, à regarder en arrière et à se rappeler. Le désir, qu'il affiche, de se connaître, est bien moins vif que la douceur amère, et, pour reprendre son expression, la délectation orgueil- leuse qu'il trouve à évoquer ses souvenirs, non point pour en tirer matière à réflexion et juger leur mérite, mais pour éprou- ver à nouveau des émotions, qu'il est savoureux, eussent-elles été naguère mélancoliques ou douloureuses, non pas de réveil- ler, et de sentir de nouveau, mais de sentir nouvellement, dans un cœur modifié, où leur empreinte n'est plus la même.
De tels jeux sont bien savoureux, mais ils aboutissent rare- ment à autre chose qu'à des regrets. Jean Hermelin veut médi- ter ; mais il rêve et il s'abandonne. Et il doit bien en convenir, quand, parti pour la connaissance de soi, il avoue ne pas mieux se connaître, en terminant. Il fallait s'y attendre. Je ne m'en plains pas autrement, car nous, nous le connaissons bien. Si ce livre avait voulu être ce que Jean Hermelin prétendait qu'il devînt, une sorte de fiche psvchologique, à fin d'enseignement moral, il eût été bien vain, et se fût soldé par un échec. Mais je
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