614::::NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
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VALENTINE PACQUAULT, par Gaston Chérau (Pion).
On donne aujourd'hui, par mode ou par intérêt, figure de roman à des pensées qui fourniraient excellemment matière à un dialogue, à un essai, à une maxime, et dont l'auteur four- voyé ne se doute pas des regards de pitié avec lesquels nous le suivons. Ce pullulement factice ne saurait nous faire mécon- naître que les écrivains réellement romanciers, capables de char- penter un récit vivant à trois dimensions, sont à présent beau- coup plus rares qu'il y a cinquante ans. Il est fort possible que le genre soit arrivé à un épuisement irrémédiable, ou qu'il traîne comme la tragédie classique un siècle de décrépitude.
M. Chérau, lui, est incontestablement un romancier, pense en romancier, a incorporé à son talent à peu près toute la part de science et de conscience professionnelles possible. Je ne veux pas dire ici l'art de ficeler une intrigue, mais de créer des êtres vivants, d'éveiller l'émotion du lecteur, de mettre en mou- vement le courant de sympathie qui unit la vie à la vie. Une place comme celle d'Alphonse Daudet est aujourd'hui vide : il semble que M. Chérau puisse chercher légitimement à l'occuper. L'an dernier il donnait une nouvelle version corrigée, étoffée, élargie de Champi-Tortu , qui fut, je crois, son œuvre de début ; c'était, à la réserve d'une fin un peu truquée qui m'a paru dé- plaisante, une belle étude d'enfant sacrifié, qui rappelait à la fois le Petit Chose, et Jack, et aussi beaucoup de romans d'internat, mais qui reste en somme le meilleur produit de ce genre abon- dant, genre qui prête un peu à l'émotion facile, et ce n'est pas avec lui qu'un auteur donne toute sa mesure. Valentine Pac- quault est une œuvre aussi attachante, mais de qualité plus rare et de maîtrise plus solidement prouvée. M. Chérau n'a pas eu peur de s'essayer à une nouvelle Madame Bovary, et il n'y avait pas en effet à avoir peur. C'est moi qui devrais avoir peur de rappeler Madame Bovary en usant de je ne sais quel cliché, comme si c'était imiter Flaubert que de créer et d'exposer comme lui une femme que ses sens entraînent dans le vice. Cela a été fait et sera encore fait bien souvent, et peut fournir ma-