6o8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Péguy n'a cessé de tourner et où ses sentiments contradictoires se recoupent. Qiie trouve-t-il au centre et qui sufiira presque à tout ? l'horreur du monde moderne. De là ces bonds alternatifs et quelquefois simultanés vers la révolution et vers la réaction ; dans les deux cas, loin d'un présent abominable... Et quand la réaction l'emporte, cette voix garde encore le ton de la Révolu- tion. Des fc changements apparents etsuperficiels... s'expliquent parce que nous avons affaire à un homme bien doué, qui, placé dans un milieu de déperdition, réagit dans le sens du recul, du maintien et de la conservation de l'énergie » : ils « consistèrent à récupérer sa nature et à oublier ses acquisitions ». Parlant de son éducation en partie double, Péguy n'écrivait-il pas dans l'Argent (19 13) : « Nous croyions intégralement aux enseigne- ments de nos maîtres et és^alement intésjralement aux enseigne- nients de nos curés... Aujourd'hui je puis dire, sans offenser personne, que la métaphysique de nos maîtres n'a plus pour nous et pour personne aucune espèce d'existence et la métaphy- sique des curés a pris possession de nos êtres à une profondeur que les curés eux-mêmes se seraient bien gardés de soupçon- ner... Nous croyons intégralement ce qu'il y a dans le caté- chisme et c'est devenu et c'est resté notre chair. » Ailleurs, il nous avouera que ses maîtres lui avaient « masqué dix siècles de l'ancienne France » et c'est là qu'il respire à l'aise, lui, Péguy ! En dépit de tous les orages, de toutes les contradictions inter- nes et externes, nous possédons en lui « le scion le plus tardit et le plus sûr du vieil arbre médiéval ». — D'où vient pourtant ce flottement qui persista obstinément en lui, quand il eut pris conscience de sa vraie nature ? Du caractère (aigri), du milieu (bigarré), de l'influence bergsonienne. M. Johannet rapproche ingénieusement Péguv de Jean-Jacques et les ennemis de Péguy de la coterie holbachique (c'est de la même façon qu'il rappro- chera les écrivains de l'Encyclopédie des contre-révolutionnaires d'aujourd'hui, Bourget, Barrés, Sorel, Péguy, Maurras, et il n'y a pas là qu'un paradoxe). Persécuté comme Rousseau, né du peu- ple comme Rousseau, Péguy fut comme Rousseau un « suscep- tible », avec le continuel souci de se mettre en avant « sans cachotterie, sans humilité vraie ou feinte », mais à cette diffé- , rence près cependant, que v Péguy a l'esprit sain, Jean-Jacques l'esprit faux »,que « tout le mal que Jean-Jacques se donne pour
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