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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 597

dérer sous cet angle.) Balzac n'a eu garde de décrire ce travail ; mais il l'a rendu auguste et mystérieux en le reflétant dans un certain milieu, en le mettant en contactavec le monde par Mar- guerite et Mulquinier. Il a fait œuvre éternelle et typique en représentant non pas le génie, réalité d'invention et de présent fulgurant, mais un tableau de toujours qui peut s'appeler les hommes devant le génie.

Et il n'y a que cette façon pour l'artiste d'aborder le génie, ou même tout simplement d'aborder le portrait de l'intellectuel : le considérer non en lui-même, mais dans ses rapports avec les hommes. Ainsi, dans le Disciple, le romande l'intellectuel com- mence au moment où son intelligence, ou son œuvre, ont agi sur un homme et l'ont poussé à l'action. Mais alors il ne s'agira plus de la vie ni des drames de l'intelligence ; il s'agira d'une vie et de drames qui se passent hors de l'intelligence.

Une autre façon beaucoup plus naturelle et plus tentante pour un écrivain, de peindre l'intellectuel parmi les hommes , ce sera de le peindre parmi les femmes, de le montrer au momen t où il ressemble à presque tous les hommes, au moment^où il aime. Et c'est ce qu'a fait M. Bataille dans les Flambeaux, c'est ce qu'a fait M. Jaloux dans la Fin d'un Beau Jour.

Mais alors prenons garde. L'intérêt de l'ouvrage consistera évidemment pour l'auteur à colorer l'amour des reflets de l'intel- ligence et du génie, à donner à l'amour l'équation personnelle de l'intelligence et du génie. Orcela me paraît encore plus difti- cile que de les peindre.

Aime-t-on avec son intelligence ou son génie ? Non. Même une femme n'aime pas ainsi. L'homme qu'ait le plus aimé cette créature d'amour, ce génie d'amour qu'était George Sand, ce fut un être creux, vaniteux et sot, Michel de Bourges. Si un génie d'amour lui-même n'aime pas avec ce génie et n'en fait qu'un emploi esthétique, à plus forte raison un peintre, un romancier, un philosophe n'aimera-t-il pas avec son génie. Autrement les plus grands hommes aimeraient les femmes les plus distinguées. Je ne dis pas que cela ne soit pas réalisé parfois, et trois « ména- ges » me viennent à l'esprit : Voltaire et madame du Châtelet (qui était un cerveau remarquable), Constant et madame de Staël, George Sand et Alfred de Musset. Or les deux dernières liaisons étaient des enfers ; et bien que la première ait eu des

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