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590 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

"un tissu subtil où vient se peindre la diaprure de votre Maja. Et vous trouvez le moyen, chemin faisant, de parler <le tout, mêlant à l'éparpillement apparent du souvenir des réflexions si judicieuses et si neuves que j'en viens à souhai- ter, en appendice à votre œuvre, une sorte de lexique qui nous permette aisément de retrouver telles remarques sur le sommeil et sur l'insomnie, sur la maladie, la musique, l'art dramatique et le jeu des acteurs.,., lexique qui déjà serait épais mais où je pense qu'il faudrait faire figurer à peu près tous les mots de notre langue, quand auront paru tous les volumes que vous nous promettez encore.

Si je cherche à présent ce que j'admire le plus dans cette œuvre, je crois que c'est sa gratuité. Je n'en connais pas de plus inutile, ni qui cherche moins à prouver. — Je sais bien que c'est à quoi prétend toute œuvre d'art, et que chacune trouve sa fin dans sa beauté. Mais, et c'est là sa qualité, les éléments qui la composent s'efforcent tous, et si l'ensemble même est inutile, rien n'y paraît ou n'y devrait paraître qui ne soit utile à l'ensemble, et nous savons que tout ce qui n'y sert pas y nuit. — Dans la Recherche du Temps perdu, cette subordination est si cachée qu'il semble que tour à tour chaque page du livre trouve sa fin parfaite en elle-même. De là cette extrême lenteur, ce non-désir d'aller plus vite, cette satisfaction continue. Je ne connais pareil nonchaloir qu'à Montaigne, et c'est pourquoi sans doute je ne puis comparer le plaisir que je prends à lire un livre de Proust qu'à celui que me donnent les Essais. Ce sont des œuvres de long loisir. Et je ne veux point dire seulement que l'auteur pour les produire dut se sentir l'esprit parfaitement désengagé de la fuite des heures, mais qu'elles exigent aussi bien pareille désoccupation du lecteur. Tout à la fois elles l'exigent et l'obtiennent ; c'est là leur plus réel bienfait. Vous me direz que le propre de l'art et de la philosophie est d'échapper précisément à la réclama- tion de l'heure ; mais le livre de Proust a ceci de particuher qu'il tient compte de chaque instant; on dirait qu'il a la

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